« Il y a non seulement d’étranges voyages en ville, mais des voyages sur place : nous ne pensons pas aux drogués, dont l’expérience est trop ambiguë, mais plutôt aux véritables nomades. C’est à propos de ces nomades qu’on peut dire, comme suggère Toynbee : ils ne bougent pas. Ils sont nomades à force de ne pas bouger, de ne pas migrer, de tenir un espace lisse qu’ils refusent de quitter, et qu’ils ne quittent que pour conquérir et mourir. Voyage sur place, c’est le nom de toutes les intensités »[1].
Dans l’esprit de Gilles Deleuze et de Félix Guattari, le nomadisme décrit une attitude visant à s’extraire des dispositifs codifiants et normalisants, imposés par le maillage des structures sociales, politiques et historiques. Il s’agit alors de sortir des sentiers balisés au profit d’un parcours fuyant, non pour échapper à la vie, mais au contraire pour produire du réel, « trouver une arme »[2]. Le voyage immobile que décrit donc le nomadisme, vise à travers des « lignes de fuite » à instaurer dans l’optique du devenir, un rapport au monde permettant de penser le nouveau, l’actualité, notre actualité. Or ce qui s’applique à l’échelle de la philosophie s’avère sans doute nous fort utile, une fois rapporté au monde de l’art. En effet, si le voyage immobile suppose une posture créatrice, dans son éloignement à l’égard des prescriptions dictées par le monde, la société, les traditions, ne revient-il pas aux artistes d’être les premiers nomades ? C’est ce qui rend nécessaire l’étude d’une œuvre telle que celle de Francis Alÿs, lui qui semble légitimement se réclamer d’un certain « nomadisme », par l’incessante mise en œuvre dans ses déambulations d’une logique deleuzienne d’oscillation entre la différence et la répétition. Parcourant les rues de certaines mégapoles, et plus particulièrement celles de Mexico, l’artiste fait écho à la figure du flâneur contemporain, tandis que jamais il ne cesse d’en faire quelque chose de nouveau. Ses pratiques de l’espace semblent de prime abord tout à fait vaines, elles qui favorisent une lecture initiale parfois teintée d’humour, tant elles paraissent insolites et parfois inutiles. Il faut croire pourtant qu’elles sont constamment le motif d’une circulation foisonnante d’intensités – pour reprendre le mot de Deleuze et Guattari – contribuant en cela à brasser les possibles et les virtualités susceptibles de laisser poindre une émergence. En cela, Alÿs permet de penser le mouvement à partir d’une relative immobilité, de songer à ce qui jaillit tel un saut qu’il effectuerait sur place, là où un tel saut nécessite toujours que l’on fournisse un certain effort.
C’est également en cela que le voyage sur place suppose toujours une manière d’opérer une action sur le monde, puisqu’en le triturant, en le manipulant, on le module aussi dans l’insistance du faire et de la praxis. Ainsi, alors que le monde continue inlassablement de se mouvoir, il semble que l’activité de la marche et à travers elle, la pratique de l’espace comme nous le montrera Alys, permette d’inférer une autre manière de connaître le monde, en l’accompagnant dans ses flux et ses devenirs, en faisant corps avec lui.
Une critique du flâneur contemplatif
Réalisé en 1991-1992 en collaboration avec Felipe Sanabria dans les rues de Mexico, The Collector consiste en une série de marches dans lesquelles l’artiste tire derrière lui un petit chien métallique puissamment aimanté, comme s’il s’agissait d’un jouet ou d’un animal domestique. Naturellement, tout un ensemble d’objets métalliques disparates viennent se glaner au chien. Il ne reste plus qu’à relever les fragments et à observer, comme l’écrit Thierry Davila, pour « imaginer le paysage urbain »[3]. Renvoyant donc à une certaine visibilité de la ville par ses objets aléatoirement jonchés sur ses sols, l’arpenteur qu’est Alÿs, devient en quelque sorte le détective des aspirations oubliées par la mégapole, à tel point qu’à partir de ces diverses « circulations », d’objets ou de sa propre personne, on est en droit de se demander si le véritable motif de ce qui est ici entrepris, n’est pas plutôt la saisie par les imaginaires collectifs d’une certaine image de la ville.
Un autre travail, dont le protocole est quelque peu similaire, permet d’insister sur le rapport à ce qui n’est pas forcément perceptible de prime abord, comme pour insister sur une lecture de l’espace qui viserait à récupérer les flux rejetés par la ville. Ainsi le projet Magnetic Shoes, réalisé à La Havane pour la première fois en 1994, consistait également en déambulations urbaines munies cette fois de chaussures aimantées. Outre la concrétion d’objets métalliques, il faut s’imaginer le poids que peuvent faire de telles chaussures, et le rapport d’inhérence à l’égard du sol. Comme le relève à juste titre Thierry Davila, ces promenades renvoient à une certaine horizontalité, dans son addition des « indices d’une vie au ras du sol, horizontale, basse »[4].
L’hypothèse que nous voulons toutefois explorer consiste à dire que ce type de marche, ponctué par le port de telles chaussures ou par la collecte d’éléments a priori insignifiants, suppose une première insistance à l’égard d’une forme d’effort, de travail, en ce que cela peut induire du nouveau, voire une réflexion portée à l’adresse des principes de genèse de l’événement. L’arpenteur est celui qui dans l’esprit du devenir adopte un regard changeant, un rapport au monde qui ne cesse de se régler et de se dérégler pour mieux en percevoir les rythmes. Ce n’est plus d’un regard contemplatif et inutile dont il s’agit, mais d’un regard qui se module et se moule aux aspérités du réel.
Aussi est-ce ce qui permet de penser le voyage immobile chez Alÿs comme une critique du flâneur benjaminien ou baudelairien, dans l’insistance faite à l’égard de cette idée d’effort. Il ne s’agit pas de perdre ou de prendre son temps, mais de contribuer à une logique dans laquelle celui qui travaille n’arrive pas forcément à bon port, là où celui qui se contente du moindre effort, peut en revanche y parvenir. Alÿs écrit ainsi que ce qui l’anime est décrit par ces deux principes symétriques, dans leur interrogation aux principes de production[5]. La flânerie peut pourtant être une forme de travail, mais à la concevoir en ce qu’elle repose sur une activité nonchalante et décontractée, on aurait presque envie de croire qu’elle signifie une attitude contemplative et désintéressée à l’égard de ce qui surgit. Si Alÿs s’inscrit pourtant dans une logique de retrait face aux conceptions quantitatives et consuméristes vouées à l’efficacité, c’est davantage pour souligner la permanence du faire qui jamais ne fait l’impasse sur l’événement. Ce qui surgit, ce qui arrive dans la pratique, le fait à chaque instant ; rien n’est donc vain mais, surtout, l’individu qui se meut dans l’espace urbain à la manière d’Alÿs, le fait dans un rapport interactif : il donne autant qu’il reçoit.
Le surgissement de l’événement
C’est dans le rapport d’immersion que la marche en tant que travail prend son sens, car elle autorise l’émergence de l’inattendu. Soulignant à nouveau la critique du flâneur baudelairien et surréaliste, Cuautémoc Medina nous dit d’Alÿs que son approche ne consiste pas en une sorte de « voyeurisme social »[6]. Plutôt que d’assister passivement au spectacle collectif et urbain, ici le flâneur est avant tout un acteur, non un spectateur. Or Alfred North Whitehead nous rappelait déjà que c’est l’observateur qui crée l’événement, tout comme c’est en connaissant historiquement que l’on crée l’histoire, car l’observateur est dans l’événement. Ainsi, lorsque chez Baudelaire le flâneur est le spectateur des activités de la foule dans laquelle il se fond, entretenant un rapport fétichisé et rêveur, donc en cela proche du voyeurisme que couvre son anonymat, jamais il n’est question d’interférer avec ce qui arrive. Au contraire de l’approche d’Alÿs qui se rapportant à une logique de l’effort ou de l’agir, s’immerge et assimile l’observateur à l’acteur, donnant ainsi une visibilité contemporaine à la figure du flâneur, comme lorsque ce dernier s’insère dans le milieu environnant que dans le même temps il expérimente.
Le voyage immobile d’Alÿs suppose ainsi qu’il soit acteur dans les espaces qu’il parcourt, tout en modifiant instantanément ces espaces, et de fait, la perception de ces espaces. L’éthique du nomade supposait précisément cela, que l’on s’attache à un entre-deux suggérant une temporalité double, dans son hésitation entre ce qui fait que l’on s’attarde, et ce qui fait que les choses passent. Le temps de l’effort supposant aussi l’inlassable répétition, fait ainsi face au temps de l’érosion du monde, inscrivant l’arpenteur nomade dans une tension qui demande sans cesse que l’on soit attentif tantôt à l’un, tantôt à l’autre. Deleuze nous rappelle que « la répétition est une condition de l’action »[7], ce qui en appelle par l’agir, à une temporalité trouble compressée entre un passé et un présent toujours en métamorphose[8], là où ce qui est produit, « l’absolument nouveau lui-même »[9], n’est rien de moins qu’une « nouvelle répétition ». Tension que l’on perçoit également dans la figure de l’intempestif nietzschéen, lui qui se doit de s’identifier à l’histoire et au passé, pour mieux s’élancer vers une sorte d’au-delà du présent.
Deleuze nous renvoie également à la thèse de Hume, selon laquelle « La répétition ne change rien dans l’objet qui se répète, mais elle change quelque chose dans l’esprit qui la contemple »[10]. Or Francis Alÿs, lui qui crée ses répétitions, se place dans la position de celui qui est à la fois l’instigateur et le contemplateur de ces répétitions. Il se place ainsi exactement sur le lieu du paradoxe, qui voit celui qui agit, et se regarde agir, comme s’il réalisait un pas de côté pour mieux appréhender le mouvement qu’il contracte. Position qui en outre est celle qui favorise l’éthique de l’intempestif, puisque celui qui réalise ce pas de côté est dans l’impératif de réaliser un contretemps, en vue d’un « temps à venir » placé sous d’autres auspices.
Ces « temps à venir » selon les mots de Deleuze[11], sont des temps autres, des temps nouveaux. Par conséquent, c’est l’idée de ce qui peut survenir qui est à prendre en compte dans le fait d’enclencher une activité prise dans le temps de la répétition, ce qui n’empêche pas de penser ces temporalités à partir de l’espace. Ainsi, en effet, la répétition présume que l’on s’attache à un territoire, que l’on y reste cloisonné, quand l’invitation au voyage suggère que l’on s’y écarte, que l’on explore de nouvelles contrées afin d’y mesurer la différence, toujours susceptible d’advenir. Surtout, le voyage immobile permet de distinguer le surgissement d’un événement auquel on participe en nous affectant directement, d’un accident dont on ne serait que le spectateur.
C’est ce qu’entreprend Francis Alÿs en déplaçant la figure du flâneur au cœur même de la catastrophe à venir. L’artiste explique cela dans Bottle, surnom qu’il donne à un travail intitulé If you are a typical spectator, what you are really doing is waiting for the accident to happen[12]. Dans cette vidéo réalisée en 1996, une caméra suit une bouteille de plastique vide, déambulant dans l’espace urbain au gré du vent. Initialement, Francis Alÿs voulait qu’il n’y ait aucune interaction entre la caméra et les événements encourus par la bouteille, filmant sa dérive et comme il le dit, attendant qu’un accident surgisse[13]. Il est ainsi vrai par exemple que des enfants ne remarquant pas la caméra, s’empressent de frapper du pied la bouteille, qui est invitée à suivre un parcours hasardeux. Cependant, l’œil rivé sur sa caméra, Alÿs poursuit la bouteille à travers les rues, et ne voit pas une voiture qui le percute, de façon suffisamment conséquente pour faire voler sa caméra qui continue à filmer. Heureusement sans gravité, l’idée est que là où le spectateur s’attendait à ce que quelque chose se produise, c’est finalement ce même spectateur qui fait l’objet d’un accident. Ici l’action d’observer, a interféré avec le cours des choses, faisant de Bottle un travail charnière dans l’œuvre d’Alÿs, puisque dès lors, il n’aura de cesse que de penser à travers ses interventions, à l’implication directe de l’homme dans son milieu.
Le paradoxe de la praxis
Un autre travail permet également d’insister sur le rapport entre l’activité d’un individu dans le milieu où il évolue, avec la possibilité de laisser émerger un « accident ». Re-enactments, réalisé en 2000, nous montre deux vidéos dans lesquelles l’artiste achète une arme à feu, puis est filmé déambulant dans les rues de Mexico, l’arme au poing ; la première vidéo relate alors l’événement tel qu’il s’est vraiment déroulé, jusqu’à son arrestation violente par les forces de l’ordre, là où la seconde vidéo, filmée le lendemain, est une exacte réplique de la première, hormis le fait que cette fois, les policiers sont de connivence. Francis Alÿs voulait alors questionner la manière avec laquelle le paysage médiatique contemporain est à même de déformer et dramatiser la réalité immédiate du moment, en particulier lorsque cette « réalité immédiate » se déroule dans le temps du présent, dans cette temporalité qui est en train de survenir juste sous nos yeux, comme l’est une performance, ce que relate précisément la première vidéo.
Il est ainsi intéressant de reconnaître dans le travail de Francis Alÿs l’importance de cette idée de répétition, une nouvelle fois, conférant au présent « réel », celui qui voit naître dans l’ordre de l’imprévisible, l’accident. C’est un moyen de nous inscrire dans la dialectique entre action – dans l’idée que quelque chose survienne – et le jaillissement inopiné de l’accident, évoquant une certaine fatalité, comme si les choses étaient écrites d’avance, indépendamment du fait humain. Ce rapport entre l’action et la manière avec laquelle les événements se mettent en place met en avant une paradoxale circularité, puisqu’on retrouve la vulgate marxiste dans laquelle les hommes à l’origine des événements, sont par ailleurs conditionnées par l’émergence de ces événements.
Or la circularité est aussi un moyen d’insister sur un certain présent de l’œuvre, ce qu’irrémédiablement laisse penser le temps des nomades, qui n’ont « ni passé ni avenir, mais seulement des devenirs »[14], induisant une sorte « d’hypnose de l’acte en lui-même, un acte qui serait pur flux, sans début ni fin »[15], comme le rappelle une autre des œuvres de Francis Alÿs, Song for Lupita, réalisée en 1998. Dans cette dernière, une femme remplit indéfiniment de l’eau dans un verre, puis recommence dans l’autre sens en remplissant à nouveau le premier verre. Les répétitions font du rythme qui altèrent la perception du temps qui passe, une manière de le diluer[16]. Surtout, cela permet d’induire un certain rapport à l’idée de travail et de production, notamment dans l’appel à l’efficacité qu’insinue toute activité rétribuée. L’absurde de la répétition est en cela un contrepoids formulé à l’encontre d’un certain dogme rationaliste qui voit dans tout effort, une finalité parfaitement descriptible.
L’œuvre exemplifiant au mieux cette interrogation à l’adresse d’une notion de travail serait dans cette optique Paradox of Praxis, réalisé en 1997 dans les rues de Mexico. Ici, il s’agit de pousser toute une journée un bloc de glace qui au départ, est assez conséquent, mais s’amenuise au fil des heures, pour devenir une balle, et enfin une flaque d’eau. On conçoit volontiers que pousser un tel bloc n’est pas un travail de tout repos, pourtant il ne conduit strictement à rien. Alÿs y voit ici une manière de s’opposer au principe de progrès, car ce qui prime est davantage le temps du faire, le temps du processus, que le temps de la synthèse ou de la fabrication[17]. Ajoutons à cela un rapport à la rédemption que suppose un tel effort, ce que confirme l’idée constante que malgré l’incongruité du geste, une foi aveugle laisse croire que quelque chose doit survenir, quelque chose doit faire sens.
De fait, l’absence de sens semble renvoyer à la nécessité de croire qu’il va tout de même survenir quelque chose, ne serait-ce qu’au cœur du temps de réalisation de l’œuvre. La notion d’effort telle que la met en pratique Alÿs est en cela ambivalente, elle renvoie à une dualité tragique de l’attente cumulée à l’absolue nécessité de croire, de savoir, comme peut nous le montrer Clément Rosset à partir de Nietzsche et Schopenhauer. Mais l’effort est aussi le propre du Corps sans organe deleuzien, dans l’idée du dépassement continu de ce qui nous compose déjà, et donc dans l’optique d’une fuite vers laquelle on voudrait tendre, là où l’effort justement signifie la nécessité de perdurer, d’insister, de durer dans le devenir.
Le voyage immobile où une autre manière de connaître le monde
S’inscrivant sur le terrain des philosophies interrogeant la notion de pratique, le voyage sur place par Francis Alÿs suppose une manière différente d’être, à l’égard de ce qui passe, notamment face à l’histoire et en définitive, au monde contemporain. Qu’implique en effet le surgissement de l’événement par la répétition ? Pourquoi ainsi tendre vers la production praxique de la différence ? C’est que le voyage immobile, alors qu’il était une manière de penser le monde, est tout autant une façon de le connaître, ou plutôt, de le vivre. Le rapport immersif que suppose le voyage immobile a quelque chose en effet d’une modulation plastique. Le monde nous enseigne certaines informations qui en retour, sont ingérées de telles manières à ce qu’on les réinjecte à nouveau, et ainsi de suite. On retrouve en cela les lois de la communication énoncées par l’école de Palo Alto, influencée par le courant cybernétique qui pose comme premier postulat les principes d’interactions actuelles et « intempestives » de l’homme avec son environnement, constituant en cela une approche systémique dans laquelle l’observateur est inclus dans l’observation. C’est ce qui arrive à Francis Alÿs, et c’est également ce qui nous permet de dire qu’il infère à l’échelle de l’art, une autre manière de connaître le monde.
Si celle-ci s’avère propice, c’est qu’elle permet de tenir compte de ses flux, de concilier les devenirs coalescents qui traversent notre univers, car l’observateur-acteur est toujours à même de moduler sa propre présence en fonction de ce qu’il observe ; en cela, c’est aussi ce qui laisse penser qu’Alÿs pose les jalons de façon plastique à une éthique du Connaître et du Percevoir, dans l’idée que seul le voyage immobile permet d’appréhender le monde extérieur, tout en se regardant soi-même, pour reprendre une expression de Vico[18].
Ainsi, dans le paradoxe du voyage immobile, on y discerne la dualité qui se joue entre l’être et le non-être, entre le moment où l’on occupe un lieu là où simultanément on s’en extirpe, entre ce qui reste et ce qui se meut. Peut-être alors est-ce dans l’un de ses travaux intitulé Narcotourist datant de 1996, que l’on retrouve de façon exemplaire cette idée de l’entre-deux. Ici, l’artiste œuvre dans l’espace urbain tout en ayant la tête ailleurs. Invité dans la ville de Copenhague, Alÿs entreprend le temps d’une semaine de parcourir la ville, chaque jour en ingurgitant une drogue différente, modifiant autant que faire se peut sa perception individuelle, ses actions, et même sa capacité à être maître de lui-même. C’est ce qui fait qu’il s’inscrit dans l’ordre d’un devenir-autre deleuzien, essence même du nomadisme toujours porté vers un ailleurs. C’est également en cela que l’art nous montre qu’il peut très bien s’avérer propice à une lecture du monde, puisqu’en effet, sans l’idée de voyage sur place, tout un ensemble de questions ne connaîtraient jamais de réponses, dès lors qu’est occultée une distance critique propice à un regard extérieur et objectivé. Comment par exemple penser le contemporain, alors que nous en faisons partie ? Comment penser l’homme, alors que c’est ce que nous sommes ?
[1] Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980, p. 602.
[2] Ibid., p. 60.
[3] Thierry Davila, Marcher, Créer, Paris, Editions du Regard, 2002, p. 92.
[4] Ibid.
[5] Francis Alÿs, « Interview with Russell Ferguson », in Francis Alÿs, Phaidon, 2007, « Parfois faire quelque chose ne conduit à rien », « Parfois ne rien faire conduit à quelque chose », notre traduction, p. 15.
[6] Cuautémoc Medina, « Survey », in Francis Alÿs, op. cit., p. 76.
[7] Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968, p. 121.
[8] Ibid.
[9] Ibid., p. 121.
[10] Ibid., p. 96.
[11] Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie, Paris, PUF, 1962, p. 122.
[12] « Si vous êtes un, véritable spectateur, ce que vous faites vraiment est d’attendre que l’accident ne survienne », « Interview with Russell Ferguson », op. cit., p. 14.
[13] Ibid., p. 15.
[14] Gilles Deleuze, Félix Guattari, op. cit., p. 39.
[15] Francis Alÿs, « Interview with Russell Ferguson », op. cit.., p. 15.
[16] Ibid., p. 45.
[17] Ibid., p. 48.
[18] Gianbattista B. Vico, Principes de la philosophie de l’Histoire, (1744), tr. Fr, J. Michelet, La Haye, G. Vervloet, 1835, t. I, p. 162, « L’œil voit tous les objets extérieurs, et ne peut se voir lui-même dans un miroir ».