Les anciens lieux de culte ont cela d’intriguant qu’ils semblent marqués par une sensation d’immortalité, alors même que leurs murs, effrités et rongés par le temps, offrent un paysage de déliquescence. Dans le cas de l’Église des Trinitaires de Metz, notamment, les parois fatiguées mais élégantes restituent une forme de solennité dans laquelle le sacré compose avec l’Histoire des hommes. L’architecture constitue ainsi un écrin de pierre plus à même de situer le pratiquant à mi-chemin entre la Terre et le Ciel, le corps et l’esprit, le profane et le divin, tandis que la verticalité de ce type d’édifice participe grandement du sentiment d’élévation qui accompagne le visiteur, appelé à rester enraciné tout en levant les yeux vers ce qui le surplombe.
Dans cette optique, une première lecture de l’installation XXX de John Cornu s’inscrit dans la volonté de contredire le plus radicalement possible une notion de transcendance. En rabattant virtuellement sur le sol de la nef les croisements qui structurent la voute de l’église, en opérant donc selon des composantes éminemment horizontales, peut-être même en considérant son geste comme une façon de cocher l’allée par des croix aux branches égales, plus rien ne subsiste de cette idée d’ascendance qui, selon certaines perspectives, caractérise une forme de prééminence sur la réalité des hommes, étouffant ainsi son foisonnement vital.
À mieux y regarder cependant, la combinaison entre verticalité et horizontalité répond davantage à un jeu géométrique que l’on aurait délesté d’éventuelles allusions symboliques. La voute qui s’abat sur le sol à la verticale ne traduit rien de plus qu’une projection mathématique, les croix impies signalent des configurations neutres possédant une consistance esthétique propre – peut-être même une forme de perfection visuelle et minimale –, là où la couleur noire, relativement dense, contraste avec une atmosphère dévotieuse, en lui donnant une épaisseur résolument graphique. Dès lors, l’intervention de John Cornu consiste moins en une critique des représentations et des mises à distance qu’en une tentative de laisser émerger une certaine autonomie des formes, à partir d’un lieu, une structure, fût-ce un édifice construit dans un style baroque et voué à célébrer le culte. Avec XXX, les propriétés mathématiques qui précisent les espaces et les volumes sont mises en exergue, enclenchant des configurations d’obédience géométrique dont la présence oscille entre affirmation et incertitude. Les lignes, les angles et les masses sombres finissent par absorber le superflu comme un trou noir avalerait la lumière, se donnant à voir avant tout pour leur souveraineté et leur silence.
Photos © John Cornu ; http://ddab.org/fr/oeuvres/Cornu