La galerie Françoise Livinec présente le travail de Jang Kwan-bum, artiste sud-coréen dont les compositions sont le plus souvent élaborées au moyen d’une technique de ponçage particulière. Apparaissent ainsi des strates qui se superposent, comme des lignes de niveaux topographiques reflétant des contrées imaginaires, des paysages virevoltants, des monts, des collines, mais aussi des étendues liquides, des fonds sous-marins ou autres nappes d’eau. Découpés par les nœuds organisés en circonvolutions complexes, les motifs participent d’un effet de miroitement, imageant des reflets aquatiques là où les couleurs, parfois éclatantes, affichent une tonalité presque électrique.
Il en résulte une œuvre à l’esthétique versatile qui d’emblée sollicite la contemplation et l’émerveillement. Son ampleur poétique découle en grande partie des impressions de fluidité qu’elle dégage. Celles-ci participent d’une intrigue visuelle qui convoque patience et curiosité tout en attestant d’une forme de plénitude, d’un ralentissement du regard. De là peut-être l’impression d’assister à une imagerie quelque peu flottante, car propice à la matérialisation d’un temps bien particulier, un temps dual qui se dilate comme il se contracte. Or, s’il est vrai que les allusions liquides ont toujours été favorables aux métaphores temporelles, surtout dans leur capacité à amalgamer des réalités paradoxales – un temps qui fuit est aussi l’annonce d’un temps qui arrive –, aussi est-il remarquable de constater que cette dynamique à deux versants s’exprime de façon rétinienne, à partir d’éléments qui restent résolument figés par la matière picturale, comme si une mécanique visuelle se mettait en place et rendait possible la restitution d’un regard latent.
Dès lors, dans les compositions de Kwang-bum, sans doute peut-on souligner une perception qui serait sollicitée de manière plastique, dans la mesure où le regard semble glisser sur les surfaces fluides. Si le travail de ponçage laisse un relief minime qui invite l’œil à se moduler et à s’adapter aux aspérités de la matière, ce sont les courbes et les arabesques qui égarent la perception. Ici, les volutes s’enchâssent indéfiniment et décrivent une étendue sans centre ni périphérie, sans accroche ni repère, de sorte que l’œil du spectateur finisse par divaguer, convoquant cette perception ralentie qui donc oscille entre inertie et mouvement.
Nous nous retrouverions donc en présence d’une esthétique qui, à de nombreux égards, se manifeste sous la forme d’un labyrinthe que l’on parcourt des yeux, ce qui permet de pointer la nécessité d’adopter une perception itinérante, donc temporelle. De même, comme dans tout labyrinthe, chaque élément pris isolément paraît se dissoudre dans un ensemble plus vaste qui pourtant est composé d’une multitude de ses semblables. Ces auréoles, ces courbes et ces volutes n’ont de résonance qu’à l’aune d’un motif équivalent intervenant de proche en proche, comme une onde qui se propage et reproduit celle qui l’engendre, tout en s’élançant avec des caractéristiques nouvelles qui la différencient.
L’œil ainsi perçoit alternativement une totalité et la myriade d’éléments qui la compose, contribuant à une sensation de mouvance, de va-et-vient entre le tout et les parties, là où les choix graphiques de Kwang-bum interviennent de manière à ancrer la perception dans des imaginaires contemplatifs – les teintes ont quelque chose d’atmosphérique, quand parfois la partie supérieure du tableau est moins dense et donne l’impression d’une profondeur. Un tel œil suppose un temps approprié dans l’acte de voir, un temps d’adaptation, en tout cas une lenteur, telle qu’on en rencontre dans toute déambulation, sous-entendant la possible désorientation comme l’immuable nécessité de se mouvoir. Pareillement, l’évocation du paysage ne peut être anodine, car c’est encore à partir d’une projection vers un ailleurs que s’amorcent les imaginaires et les désirs d’évasion.