Difficile de ne pas être admiratif devant les dessins millimétrés de Clément Bagot. L’extrême finesse du trait s’accumule, se répète à l’infini, pour finalement couvrir la surface du papier dans son intégralité. Une texture faite de micro-motifs à la fois semblables et différents apparaît, hésitant parfois entre l’organique et le high-tech, entre la cartographie et l’architecture. Dans les œuvres en grand format, les jeux d’imbrications perpétuelles et les univers topologiques ont quelque chose des prisons imaginaires de Piranèse, alors même qu’elles semblent avoir été dessinées par Jean Giraud alias Moebius.
Plus généralement, ce qui frappe dans cette exposition personnelle proposée par la galerie Éric Dupont – une fois que l’on se rapproche de ces dessins qui ne demandent qu’à être scrutés – est l’incidence de l’imagerie scientifique, plus exactement des mondes qui s’éveillent sous l’œil du microscope. Des pores de la peau transparaissent, des gouttes de sueur semblent perler. Cellules et mitochondries s’offrent au regard, tandis que virus et bactéries s’agitent au rythme de l’image.
Or, dès ses premières heures, l’infiniment petit s’est avéré des plus fascinant. Aujourd’hui, avec ces dessins, il ravive la frontière poreuse distinguant l’art de la science, ce que ne conteste pas le choix des couleurs du papier : le vert est acide, le rouge sanguin et le bleu, presque électrique. Clément Bagot partage ainsi avec les images scientifiques leur envoûtement visuel. En suggérant les mouvements de la matière, en rendant palpable des vitesses, des températures et autres flux chimiques, l’artiste intrigue, attise le regard, de la même façon que les scientifiques du XIXe siècle qui laissent découvrir des traces du réel peu familières au commun des mortels.
Attirance, puisqu’en donnant vie à un monde supposé invisible, frustration et curiosité de l’imaginaire scientifique sont comblées. Pareillement, les représentations de l’infiniment petit, de l’infiniment lointain ou de l’infiniment complexe, arborent une dimension spectaculaire suffisamment suggestive pour que les artistes puissent s’en emparer. Les images de la science et les images de l’art, chacune à leur manière, participent à un élargissement de la perception, quand paradoxalement, ceci passe par une vision microscopique.
Toutefois, il serait dommage de réduire les dessins de Clément Bagot à une figuration du règne du vivant, car ainsi serait occultée la vertigineuse précision du trait. Chaque dessin est un univers organique en soi, un paysage mental martelé par la rigueur du geste et une inventivité qui se renouvelle à tout instant, comme le traduisent également les maquettes raffinées, reflets de mondes réticulaires qui pourtant demeurent inhabitables. Les créations de l’artiste ici s’éprouvent, au bon sens du terme, car non seulement elles accaparent l’attention du spectateur, mais elles le confrontent à la démesure d’un travail où patience, rigueur et abnégation sont les maîtres mots.
Exposition Clément Bagot. Partir d’un point et aller le plus loin possible à la galerie Éric Dupont à Paris, du 30 mars au 11 mai 2013.
toutes les images, © courtesy Galerie Eric Dupont, Paris.
Texte publié sur contemporaneite.com en avril 2013.
Image de couverture, Thalos (détail), encre noire sur calque fluo orange, 30 x 20 cm, 2012.