Réminiscences (Éric Bourguignon, Simon Casson, Jérôme Delépine, Rosy Lamb, Jean-Pierre Ruel, Julien Spianti & Marion Tivital), 13 mars – 4 avril 2015, Darren Baker Gallery, Londres.
Communiqué de presse:
L’exposition Réminiscences présentée par les commissaire d’exposition Géraldine Bareille et Guido Romero Pierini regroupe des artistes qui explorent les fondements de la peinture. Celle-ci se manifeste à travers ses mythes premiers, ses imaginaires et son histoire, à l’image du récit fondateur de Pline l’Ancien, relaté dans son Histoire naturelle. La fille d’un potier, sous la lumière vacillante d’une lanterne, trace sur un mur le profil de l’amant en partance. Lorsque le trait est tiré, ne restent que l’absence et la mémoire, mais aussi un acte pionnier, car de là naît la peinture figurative : de la perte, de la trace et de la mélancolie. Or à de nombreux égards, ces vertus natives se sont évanouies au fil des âges ; elles constituent pourtant la trame qui réunit les artistes présentés.
Chacun d’eux introduit, à sa manière, ces réminiscences originelles. Chez Rosy Lamb, un sentiment d’attente habite les corps, comme alanguis par une solitude flâneuse. L’indolence se fait palpable, elle renvoie à une torpeur hors du temps, ou plutôt, qui hésite avec lenteur entre ce qui est arrivé, et ce qui doit arriver. Nous retrouvons cette dichotomie dans les peintures de Jean-Pierre Ruel, dont les personnages échappent à la narration, tout en œuvrant dans une étrangeté situationnelle. Là aussi, une langueur expectative et ce petit décalage avec la réalité, celle qui trône dans nos propres mémoires, celle aussi qui détonne, car elle échappe à nos représentations habituelles.
Partant de ce sentiment d’affection du réel, Marion Tivital interroge également cet espace interstitiel, tout comme un temps suspendu, en figurant des sites qui, à la frontière du géométrique, finissent par imposer une présence douce et mystérieuse. Une mélancolie flottante émane de ces espaces industriels ou de ces objets quotidiens à l’apparence minimale, à partir desquels germent des récits fantasmés, comme dotés de vie.
Des Réminiscences, car est supposé l’évanouissement d’une présence passée. Cependant, les traces que cette dernière laisse derrière elle, affectives, imagées, ou magnifiées par le sentiment de singularité qui hante le mélancolique, ne sont pas que des empreintes inopérantes. Elles sont aussi des surgissements, des éclosions et des naissances, nous rappelant que toute perte s’accompagne d’une reconquête. À l’image des toiles d’Éric Bourguignon, dont le toucher vif et intense absout les formes par des contours hésitants, comme floutés, au profit d’une impression, d’une sensibilité. L’artiste nous montre que la sensibilité est la capacité à vivre, à revivre, à mémoriser des sensations, plutôt que de réitérer des informations. De même, chez Jérôme Delépine, les compositions brumeuses et éthérées suggèrent cet effacement émergeant. Les portraits notamment, diffus et nébuleux, presque fantomatiques, évoquent les visages évanescents de personnes autrefois rencontrés, dont les traits s’estompent au fil du temps, sans qu’ils soient oubliés pour autant.
Les artistes de l’exposition Réminiscences interrogent donc le paradoxe de l’apparition qui se joint à la disparition, paradoxe constitutif de l’acte pictural. Ainsi que nous le montre Julien Spianti ou Simon Casson, la peinture est la pratique qui par excellence, contrairement à la photographie, permet d’amalgamer des réalités, de laisser choir sur le même plan des mondes qui s’estompent et d’autres qui s’esquissent, comme des lambeaux de mémoire luttant pour être préservés de l’oubli.