Art, etc.


L’Après-midi, Villa Arson, Nice


Ibai Hernandorena, Carénage, 2015 Résine, fibre de verre et socle métallique (50 x 150 x 110 cm).
L'APRES-MIDI Vue Galerie Carrée 3

L’après-midi, vue de la Galerie Carrée

VillaArson15ApresMidi04Quillacq

Jean-Charles de Quillacq, Les Petites filles, 2015. C-print sous diasec, 59 x 46,5 cm.

 

VillaArson15ApresMidi08Dubuisson

Julien Dubuisson, Pavillon nocturne, 2015, video HD, N&B, son (5’45’’).

VillaArson15ApresMidi09Prolonge

Lidwine Prolonge, 2064 cent ans plus tard, 2014. Installation audiovisuelle. Photo Sophie Blais.

 

L’Après-midi
Julien Dubuisson, Ibai Hernandorena, Jean-Charles de Quillacq, Lidwine Prolonge

Dans le cadre de son programme de recherche post diplôme, la Villa Arson présente une exposition validant le projet de résidence de quatre artistes. Avec l’Après-midi, Julien Dubuisson, Ibai Hernandorena, Lidwine Prolonge et Jean-Charles de Quillacq restituent un parcours long de deux années, lequel fut accompagné par Mathieu Mercier qui assure également le commissariat. Une troisième année est envisagée dans le cadre d’une activité « hors-les-murs », elle bénéficie du soutien et du suivi de l’école.

De la lancinance quelque peu mélancolique évoquée par cette formule, l’« après-midi », on retient, dans le cadre de l’exposition, non tant le traitement d’une thématique – puisque finalement, il n’y en a pas – que la volonté plus humble de présenter des travaux qui se sont mutuellement accompagnés dans leur processus de création et de maturation. Sans doute l’enjeu consiste-t-il à percevoir, dans la diversité des œuvres présentées, une forme de cohérence d’ensemble qui, si elle reste peu évidente sur le plan formel, l’est au moins sur le plan du mode de fonctionnement. Cette connivence semble, à de nombreux égards, ne s’emparer des différents travaux qu’à l’insu de leurs auteurs.

La Galerie Carrée introduit l’exposition et réunit pour la seule fois en un même lieu une production des quatre artistes. Une Volvo usagée, un tentaculaire jeu de cordes enlacé et posé au sol, des plaques de tôles aux teintes industrielles disposées à même les murs comme des hublots, puis un bloc de pierre ; l’ensemble détonne par son minimalisme scénographique, rappelant qu’il est parfois difficile de dissocier les œuvres de leur espace d’exposition. Or si chaque élément se contente d’affirmer une présence, il renvoie surtout à son utilisation passée : ce véhicule qui semble daté des années 80 et dont on se figure sans peine les innombrables kilomètres parcourus, renvoie à une vie antérieure, une histoire individuelle qui s’écrit à l’aune d’une histoire collective, car c’est aussi à travers les objets que transitent les imaginaires et les représentations de toute une époque.

De fait, on perçoit dans la Galerie Carrée, comme en préambule, la volonté d’interroger des principes de récupération ou de réitération au regard de ce qu’ils soulèvent en soi, de ce qu’ils produisent dans leur rapport à l’espace ou au temps qui les accueille.

Au fur et à mesure que l’on progresse dans l’exposition, cette axiomatique de la répétition gagne en consistance, comme l’explicite le travail de Lidwine Prolonge. À partir d’archives de toutes sortes – coupures de presse, documents dactylographiés, photographies et objets d’époque – Lidwine Prolonge envisage l’événement dans son rapport au récit, à la fiction, au caractère simultanément destinal et imprévu de ce qui arrive. Partant d’un fait divers – le décès accidentel de Françoise Dorléac un 26 juin aux alentours de Nice – Lidwine s’empare de l’événement puisque c’est elle qui à son tour, quelques années plus tard, prend l’avion pour se rendre dans la capitale azuréenne, un 26 juin précisément. Plus loin dans l’exposition, elle met en situation les propos d’Isaac Asimov, connu pour ses ouvrages de science-fiction et auteur en 1964 de prédictions portant sur l’année 2014. Un jeu de correspondance se met en place, l’événement est perçu pour son caractère dialectique, lui qui articule le long flot des faits passés à la promptitude du présent. Rejouer ces instants tout en réactualisant des archives permet de contrecarrer une linéarité historique comme de s’approprier l’immédiateté de ce qui arrive.

Si donc l’événement est dual par nature, il est aussi gouverné par une sorte d’impossibilité métaphysique, puisque deux moments, deux identités indépendantes, ne peuvent coexister, ainsi que nous le montre Jean-Charles de Quillacq. Ce dernier, en envisageant le rapport à la famille à travers ses codes et ses représentations, ses imaginaires et ses interdits, touche un ineffable à la fois évident et imparable : celui qui est ne peut être un autre. Dans ses sculptures qui pour la plupart arborent une sémantique sexuelle – à travers des verticalités érectiles ou des objets longilignes donc phalliques – on constate un souci permanent pour la torsion, la courbure ou le revirement, comme pour signifier des éléments qui visent à contredire leur propre nature. Avec My Sister as I am, photographie de la sœur de Jean-Charles de Quillacq dont le sens d’orientation est déplacé à quatre-vingt-dix degrés – ce qui déjoue la gravité la plus élémentaire aussi bien qu’une perception traditionnelle – le double est figuré pour son irréductible impossibilité. En effet, l’être qui désigne le frère ou la sœur est sans doute la personne la plus ressemblante du point de vue de l’histoire individuelle, de la biologie, si ce n’est de la morphologie, et pourtant une frontière insurmontable semble se dresser, rappelant à l’existence potentielle qui aurait pu être celle de Jean-Charles. Cette dissociation entre le donné qui jamais ne se réfute et les possibles fantasmés est agrémentée par des objets-acteurs qui chacun envisage une réalité proche mais alternative, à l’image de ces chaises à trois pieds ou d’un vocabulaire plastique lié à une verticalité dont il s’agit de dévier.

Avec Ibai Hernandorena sont associées des notions de perception et de représentations altérées par des discours historiques. En agençant les arêtes d’un parallélépipède rectangle ayant pour longueur très exactement 1,83 mètre – c’est-à-dire, selon Le Corbusier, la taille de l’homme idéal – Ibai nous rappelle que les structures et les édifices qui régissent les paysages de notre modernité restent régulés par des conceptions parfois utopiques. Surtout, cela permet de souligner la relative impermanence des idées qui configurent l’« esthétique » d’une époque, ainsi qu’en témoignent les théories scientifiques qui se succèdent et se dépassent au fur et à mesure que l’histoire avance. Il est alors question de prendre la mesure de ces phénomènes transitoires en opérant à l’échelle de notre perception ; ceci passe par la figuration d’une forme de décalage dans ce que nous percevons du monde, à l’exemple de ces photographies prises d’un avion en plein décollage, en mode panoramique, de façon à extraire des images composites mais dilatées de la mer niçoise. Une vitesse physique et matérielle agrémente une autre vitesse qui, elle, reste insondable et diffuse, car elle renvoie aux forces évolutives qui parcourent toute société. Ibai Hernandorena procède donc en opérant un pas de côté, c’est-à-dire en essayant d’être à la fois ici et là-bas, car ce n’est qu’alors que l’on parvient à percevoir le monde environnant tout en nous regardant nous-même.

Le travail de Julien Dubuisson, quant à lui, est porté par deux pièces monumentales. La première pièce, Old Room, se présente comme un mur composé de vieilles planches posées à l’horizontale. Une fenêtre laisse entrevoir le rouge écarlate d’un tapis quelque peu pittoresque. D’autres parties de ce qui finalement constitue une sorte de jetée, dévoilent des empreintes. Le second projet, Pavillon nocturne, montré à l’occasion du 17e prix de la Fondation Ricard, met en avant des pièces d’allure parallélépipédique moulées en résine, une vidéo indique le dispositif qui consiste à imbriquer les pièces entre elles de façon à constituer une masse compacte quasiment architecturale. Si l’on retient la nécessité pour chacun de ces projets d’enclencher chez le spectateur une déambulation prospective, en vue de contenir les œuvres sous la multiplicité des facettes qu’elles déploient – ce qui investit la thématique du point de vue qui ne peut se démultiplier – il faut percevoir chez Julien Dubuisson le souci de l’agencement des formes en ce qu’il signifie le passage constructiviste d’une réalité à une autre. Le procédé du moulage en soi suppose déjà l’idée de duplication, mais ici il bifurque vers une conception singulière de la transformation. Autrement dit, la répétition n’est pas un processus à l’origine d’un autre identique, il enclenche au contraire un autre qui paradoxalement s’avère différent.

Ainsi, l’exposition vise à faire prendre conscience d’une réalité duale en s’affranchissant des interprétations linéaires et littérales. Chacun des quatre artistes développe à sa façon cette axiomatique de la récupération, de la réitération voire du dédoublement. La répétition est donc constamment polarisée par son rapport au changement et au nouveau qui s’enclenche malgré tout. Il y a donc de l’éternel retour dans cet Après-midi, mais celui-ci ne désigne nullement le retour du même, il signale davantage le retour de la différence, de ce qui reste nouveau mais irréductible à ce qui a précédé.

 

À la Villa Arson du 4 octobre au 28 décembre 2015
Image de couverture : Ibai Hernandorena, Carénage, 2015 Résine, fibre de verre et socle métallique (50 x 150 x 110 cm).
pour paris-art.com

 

IBAI HERNANDORENA Le rêveur, 2015 Vidéo hd 16 9, son (5’30’’)

Ibai Hernandorena, Le rêveur, 2015 Vidéo hd 16 9, son (5’30’’)

JULIEN DUBUISSON Old room 2015 -détail

Julien Dubuisson, Old room 2015 -détail

LIDWINE PROLONGE LIDWINE PROLONGE Villa Cyrnos, 2015 vitrine avec documentation et objets divers (128 x 93 x 37 cm)

Lidwine Prolonge, Villa Cyrnos, 2015 vitrine avec documentation et objets divers (128 x 93 x 37 cm)

JEAN-CHARLES DE QUILLACQ My Sister Like I Am, 2011 impression jet d’encre (204 x 154 cm) - Adam, 2013époxy sur polyamide (114 x 66 x 3 cm)

Jean-Charles de Quillacq, My Sister Like I Am, 2011 impression jet d’encre (204 x 154 cm) – Adam, 2013époxy sur polyamide (114 x 66 x 3 cm)

 

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