Sonic Geometry, Claudia Comte
Galerie Art & Essai, Rennes
On a pu constater à propos du travail de Claudia Comte une dichotomie entre son intérêt pour des investigations formelles, et le souci de se délester d’une certaine forme de gravité. Alors que les figures géométriques parsèment la plupart de ses installations, il subsiste toujours une part d’évasion à ce qui est communément caractérisé par la rigueur ou l’intelligibilité visuelle. C’est ce que nous vérifions dans le cadre de l’exposition Sonic Geometry présentée par la galerie Art & Essai de Rennes.
Cette ambivalence repose sur le fait que Claudia Comte ne se contente pas de s’enquérir des caractéristiques picturales de la géométrie, dans le prolongement par exemple d’une tradition avant-gardiste qui, autour de 1930 avec l’Art Concret, explore les processus de composition pour ce qu’ils ont d’inflexible et universel. Bien au contraire, il est question de maintenir un dialogue constant entre une picturalité rationaliste et ce qui a priori n’est pas de son ressort. Ceci passe par l’insertion de la géométrie au sein d’un environnement qui la conditionne aussi bien que par sa confrontation à des sculptures de bois dont la physionomie, justement, a quelque chose d’informe, si ce n’est parfois de désopilant.
Aussi la question de la musique intervient-elle à juste titre avec Sonic Geometry, dès lors qu’une mélodie suppose une syntaxe de notes – c’est-à-dire l’agencement tout sauf aléatoire de sons plus ou moins haut – pour qu’au final soit perçue l’expérience d’un flot continu et fuyant. De là, dans l’espace de la galerie, Claudia Comte n’a de cesse que de jouer avec cet écart entre structure exacte et désinvolture spontanée. Les cercles noirs qui habitent les murs en accompagnant les lignes d’une portée musicale sont peints selon un protocole : des brosses de différentes dimensions préalablement imbibées de peinture tournent autour d’un point central, en un geste unique que l’on devine prompt et adroit. L’amenuisement progressif du liquide laisse apparaitre, à mesure que le cercle s’accomplit, des stries concentriques évoquant la texture synthétique des disques vinyles, tandis que l’opération s’apparente aussi à la gestuelle calligraphique des maîtres orientaux – là où précisément il s’agit de concilier une préparation lente et méditative à la vivacité de l’exécution.
L’espace en lui-même est composé par des structures de bois d’allure parallélépipédique qui allusionnent les modules combinatoires de Sol LeWitt – héritier lointain des injonctions formelles prônées par les tenants de l’Art concret – comme l’affirment les variations de rayures ; chaque pièce semble unique et s’emploie à articuler les pleins et les vides, de sorte que les sculptures organiques de Claudia Comte puissent s’incruster en elles, ou bien se laisser porter, comme posées sur des socles. D’un côté l’architecture presque mathématique qui tient lieu de trame tridimensionnelle, de l’autre des sculptures représentant des fémurs dont on s’imagine appartenir à une espèce mystérieuse mais éteinte. Or puisque chacun de ces éléments est aussi disposé selon les axes orthogonaux de la galerie, on se dit finalement que les véritables notes de musique ne sont pas celles apposées sur les murs, mais celles qui investissent l’espace.
Ainsi l’étrangeté de ces sculptures osseuses au bois élégant participe d’une forme de décalage. Le caractère insolite des masses à la fois longilignes et courbes s’amuse effectivement de leur relative prestance, de la paradoxale précarité de leur équilibre qu’un rien pourrait contrarier, de leur silence aussi. En conséquence, la perfection de la mesure s’associe à l’imperfection d’un ineffable : « quelque chose fuit » nous dirait Deleuze, quelque chose dont on ne perçoit ni la consistance ni l’objet, mais qui cependant adoucit la rigueur de la rationalité esthétique. Peut-être est-ce cela même que la musique, à savoir l’idée d’une perte, d’une fugue, ou l’irrémédiable sensation de contenir des sons qui nous parviennent au moment même où ils se dérobent.
Une forme de justesse émane donc de l’ensemble de l’exposition – comme s’il s’était agi de trouver l’accord parfait – alors qu’en mimant des motifs paléontologiques, on ne peut s’empêcher de convoquer des temps ancestraux. Il y a bien une dimension naturaliste, voire anthropologique dans les projets de Claudia Comte. Il serait tentant d’évoquer un retour aux sources, mais ce serait sans doute se méprendre sur les intentions véritables de l’artiste. En effet, nul sentiment de nostalgie pour des vertus natives, tout au plus le désir semble-t-il d’ancrer les formes, quelles qu’elles soient, dans une sorte de substrat primordial et essentiel, un monde qui saurait accommoder avec la même convenance les figures géométriques aux formes impromptues qu’offre parfois la nature. Il subsiste donc dans ce travail la puissance de curiosité propre à toute recherche formelle, mais ceci se fait avec l’allant que seuls possèdent parfois les musiciens.
Texte parue dans Revue 02, Hiver 2015-2016, n°76.
Toutes les images courtesy Galerie Art & Essai, photos : André Morin.