Adrien Couvrat, Rondes, Galerie Maubert, Paris / 9 décembre – 20 janvier 2016
On a pu insister, à propos des peintures d’Adrien Couvrat, sur l’importance du spectateur, invité à se mouvoir autour des œuvres afin de jouer sur les variations de couleurs et de lumières, ou sur les dissonances que produisaient la perception d’infimes détails. Présentées par la galerie Maubert, celles-ci ont aussi cela d’étonnant qu’elles plongent leur observateur au cœur d’un imaginaire visuel parfois relatif aux phénomènes naturels ou scientifiques, alors même qu’elles s’inscrivent dans l’abstraction la plus souveraine.
En cela, Adrien Couvrat se distingue par exemple des Shaped canvas de Frank Stella où l’on retrouve pourtant le souci d’assimiler la forme à la surface, tout comme la présence de stries labyrinthiques qui, comme dans les Blacks paintings, avaient pour fonction d’ancrer la peinture dans une relative platitude matérielle (flatness), en vue de contrecarrer toute logique de représentation. De cette négation de l’image chez l’artiste français, il faut relever, outre le rôle imparti à la lumière et aux couleurs iridescentes, une impression rétinienne qui se veut vibratoire car irriguée par les sillons concentriques dont l’extrême régularité soulève la question du rythme, de la respiration et de l’ondulation. Il s’avère donc tentant d’associer les Vortex d’Adrien Couvrat au projet de l’art cinétique, car l’acte de perception alterne entre observation rapprochée et vue d’ensemble. Seulement, à la différence des approches purement optiques, ces peintures se doublent d’une mémoire visuelle relative aux merveilles qu’offrent les phénomènes optiques naturels – en évoquant la grâce tourmentée des aurores boréales comme les reflets irisés des élytres de coléoptères –, mémoire également relative aux techniques de pointe, si on se rapporte aux disques multicolores évoquant les CDs aussi bien que les paraboles métalliques des satellites artificiels.
L’exposition, qui présente également des peintures de forme rectangulaire, prend sans doute une autre tournure lorsque l’on insiste davantage sur la figure du cercle, elle qui joue pour beaucoup dans la construction d’une atmosphère aérienne, ne serait-ce parce qu’elle allusionne les corps célestes qui de tout temps ont oscillé entre fascination esthétique et désarroi métaphysique. Or, à mieux y regarder, les sillons sont portés non tant par des cercles concentriques mais par une configuration en spirale. Autrement dit, le phénomène vibratoire répond plutôt à des forces conflictuelles mais continues qui, en dessinant un cheminement tourbillonnaire, écartent tout en rapatriant.
On se plait ainsi à percevoir ces peintures pour leur dimension cosmologique car à travers la figure du cercle et de la spirale, elles font œuvre d’éternels retours où ce qui prime est l’association toujours créatrice entre équilibre et élan émancipateur. De là se donne à voir l’amalgame dynamique entre le proche et le lointain, peut-être le tout et les parties, tel qu’il illustre une sorte de mécanique céleste sinon universelle, où chacun des éléments – réels ou conceptuels – est appelé à graviter autour d’un autre. C’est alors que la place du spectateur prend tout son sens ici, lui qui est invité à se rapprocher des peintures pour mieux en apprécier les antinomies, surtout pour rompre avec la solitude des œuvres qui désormais ne peuvent s’appréhender autrement que dans un rapport d’interaction et d’équivalence. L’adage nietzschéen affirmant que « si nous regardons dans un abîme, l’abîme regarde aussi en nous » ne dit pas autre chose, tant les Vortex d’Adrien Couvrat, hypnotiques mais profonds, font que l’on ne sait plus qui de l’œuvre ou du public examine l’autre.
Julien Verhaeghe
Texte paru sur inferno-magazine le 15 janvier 2016.
Image de couverture : Vortex, détail, acrylique sur résine, 100 cm, 2015.