Art, etc.


Clement Valla. « Surface Proxy », XPO Gallery


53.137 Tomb Effigy of a Lady
50.159 Saint Barbara

Saint Barbara, 2015. Sculpture, impression numérique sur lin et impression 3D. Courtesy Xpo Gallery, © Clément Valla

Vue de l'exposition

Vue de l’exposition

Site1

Cistern, 13th century, French Lead, cast Overall 13 3/8 x 22 1/4 in. (34 x 56.5 cm), The Metropolitan Museum of Art, New York, Metalwork-Lead, Gift of George and Florence Blumenthal, 1933, on view in Gallery 003, Said to have come from Angoulême (Charente) ; George and Florence Blumenthal (until 1933), 2015. impression numérique sur lin et impression 3D. Courtesy Xpo Gallery, © Clément Valla

3

Unknown artist, Burgundian, (Migration period), ca. 1106-1112, Cluny, French culture Limestone with traces of gesso and polychromy, 76.2 x 43.2 x 29.2 cm (30 x 17 x 11 1/2 inches), Rhode Island School of Design Museum, Museum Appropriation Fund, 2015, Impression numérique sur lin et impression 3D. Courtesy Xpo Gallery, © Clément Valla

2

Angel, ca. 1130, Made in Burgundy, France, Limestone Overall 23 x 16 1/2 x 11 3/8 in. (58.4 x 41.9 x 28.9 cm), The Metropolitan Museum of Art, New York, Sculpture-Architectural, The Cloisters, Collection, 1947, on view in Gallery, 004, From the former transept portal of the cathedral of Saint-Lazare at Autun ; Roidet-Haudaille (architect), Autun, France ; Abbé Victor Terret, Autun, France ; [Jean Peslier, Vézelay (sold 1935)] ; [Brummer Gallery, Paris and New York, (1935–1947)]. 2015. Sculpture, impression numérique sur lin et impression 3D, Courtesy Xpo Gallery, © Clément Valla

Le travail de Clement Valla que présente XPO Gallery relate l’histoire d’une rencontre impossible, celle de la 2D et de la 3D. Prolongeant des projets antérieurs dans lesquels des processus de modélisation algorithmiques s’emparent de notre perception du monde, à l’exemple de Google Earth, l’artiste accentue le fossé qui sépare la réalité matérielle de ses représentations, en s’attaquant à l’archivage visuel de la sculpture.

Dans le cadre de cette exposition sont convoqués des fragments de l’architecture médiévale venus de France ; ils résident désormais dans les musées de la côte Est américaine, figurant une trajectoire qui s’élance depuis le Vieux continent pour investir le Nouveau Monde ou pour rejouer le dialogue entre tradition et innovation, peut-être aussi le déplacement culturel entre Paris et New York.

Les éléments qui composent l’espace de la galerie stimulent un écart de proximité entre ce que l’on identifie d’emblée comme des colonnes de pierre moyenâgeuses ou des reliques de saints, et la sensation étrange d’avoir affaire à des subterfuges visuels. Les masses volumétriques sont en réalité des sculptures imprimées en 3D enveloppées de toiles de lin, celles-ci sont recouvertes d’une impression jet d’encre qui simule les corps granitiques. Afin de restituer la tridimensionnalité d’un objet sur une image, Clement Valla utilise la photogrammétrie, technique qui consiste à photographier  l’objet sous divers angles puis à recouper les résultats par triangulation. La gisante exposée dans la galerie nous confond dans l’illusion : les reliefs sont accentués par les jeux d’ombres et de lumières, les teintes ont la pâleur de la pierre, mais la vivacité d’un éclairage naturel. Malgré tout, les plis de la toile restent apparents tandis que les juxtapositions d’images ne sont pas toujours parfaites. Un léger décalage avec le réel se produit, nous voilà en présence d’un corps étrange car hybride, à la fois vestige physique d’un sacré révolu et phénomène optique arrangé par des techniques contemporaines.

De ce trouble dans la perception nait une sensation d’inexactitude ou plutôt, d’invraisemblance, comme si les algorithmes n’étaient pas parvenus à englober la complexité du réel afin d’en rendre toutes les subtilités, tout en confortant l’œil humain dans ses capacités physiologiques. On se rappelle des Postcards de l’artiste dans lesquels des ponts photographiés et collectés par les algorithmes de Google Earth simulaient des mondes impossibles, défiant la raison et les lois de la physique, un peu à l’image des paradoxes topologiques d’Escher. Ici, la perturbation visuelle, ainsi que l’explique l’artiste, ne correspond pas à des erreurs rencontrées par des algorithmes déjoués par la finesse du réel. Bien au contraire, nulle erreur, mais des images résultant de façon souveraine d’un dispositif qui ne fait qu’appliquer des règles strictes. C’est que l’œil ne parvient pas tout à fait à distinguer l’objet présenté de l’objet qu’il se représente, par habitude ou par intelligence. Autrement dit, toujours selon Clement Valla, une disjonction visuelle se produit entre un réel rendu visible uniquement par ses textures mathématiques – une vision de surface en somme – et un réel contextualisé, attendu ou projeté par l’esprit du regardeur. Cette contradiction présume de l’association insurmontable entre un monde tridimensionnel et un monde des images, invitant l’œil à composer avec deux visions qui se superposent. Ainsi, les ombres de la gisante consolident les reliefs de la pierre, l’intensité de l’éclat affirme une exposition en plein soleil, et alors que nous croyons y percevoir un corps immobile pour l’éternité, ce que nous voyons réellement n’est qu’une base de données visuelle.

À travers cette superposition de perceptions, ce qui est pointé est une forme de technicisation du Voir propre à notre contemporanéité. Il désigne en cela ce que Jean-Louis Déotte conçoit, à la suite de Benjamin ou de Foucault, comme un appareil, c’est-à-dire un dispositif technique et visuel qui configure notre rapport au monde, mais qui surtout dessine les contours d’une époque en matière de culture et de connaissance. Pendant la Renaissance, la perspective désignait l’appareil instigateur d’une nouvelle forme de temporalité aussi bien que d’une nouvelle façon de comprendre et percevoir le monde, au même titre que la photographie refaçonne au XIXème siècle les distances, les visages, les paysages et au final, les configurations humaines. Dans le cas présent, si les bases de données structurent et acheminent les informations de façon à infléchir notre rapport au monde, l’artiste insiste surtout sur leur impact dans notre façon de voir.

De fait, deux aspects peuvent être relevés à partir du travail de Clement Valla. Premièrement, l’artiste nous rappelle que le regard que nous portons sur le monde est un constructivisme, il est produit par notre environnement culturel et technique et n’a rien de spontané, d’héréditaire ou de naturel. Secondement, en s’adressant à l’appareil que constituent les bases de données en tant que dispositif induisant notre rapport technique et visuel au monde, est examiné ce qui constitue le monde contemporain dans lequel nous œuvrons. Dans cette optique, on peut trouver judicieux le fait de s’accaparer des sculptures médiévales, signifiant la distance avec un contemporain qui fait la part belle à l’immatériel et à l’évanescent, plutôt qu’aux objets durs comme de la pierre. Choix d’autant plus approprié que l’on y perçoit la technique pour son caractère profane et, en cela, peut-être assistons-nous, comme semble le suggérer l’artiste, à une forme de déshumanisation du regard. L’exposition présentée se perçoit dès lors comme une enquête portant sur la structure du contemporain, non tant pour souligner la nostalgie des temps révolus, mais pour réaffirmer les connivences entre la vision et la technique.

Paradoxalement, ce qui frappe dans ce projet est que plus nous nous perfectionnons d’un point de vue technique, et moins nous semblons voir le monde pour ce qu’il est réellement.

Image de couverture : Tomb Effigy of a Lady , 2015, impression numérique sur lin et impression 3D, Courtesy XPO Gallery, ©Clement Valla
Texte publié sur Inferno.

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