Art, etc.


Eric Bourguignon. Le chant de la peinture


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Les gestes francs et puissants d’Éric Bourguignon portent des masses colorées aux teintes profondes, parfois sépulcrales, comme imprégnées d’une forme de langueur. Une atmosphère naturaliste et élémentaire émane de ces peintures qui, suivant les séries, composent des univers archaïques, marins, ou paradisiaques. Outre l’allusion manifeste à l’art pariétal, en particulier à travers les tons ocre et les textures caverneuses, il est vrai que l’on y perçoit les édens mystérieux d’un Giorgione ou les étangs ombragés de Monet. L’œuvre rend hommage à la terre nourricière et aux littoraux rocailleux, les personnages dansés exaltent la vie et l’ivresse.

Au cœur de ce tumulte, souvent, l’artiste appose sur la toile une infime lueur de couleur, comme un faisceau lumineux qui déroge mais qui, aussi, ajuste. Ce soubresaut rose vif détonne avec le reste de la composition, de même que ce trait de bleu, intense et surprenant. Ceux-ci affirment une audace maitrisée : la touche nerveuse mais précise, ponctue des compositions qui ont l’exubérance de l’onirisme et la plénitude de la pastorale. La toile en devient harmonieuse car domine le sentiment qu’aucun geste n’est superflu. Tout se suffit, rien ne manque.

 La force des peintures d’Éric Bourguignon vient sans doute de l’impression globale qui en résulte. Une impression rétinienne, comme des images rémanentes qui infusent nos paupières lorsque nos yeux sont clos. Les formes aux contours indéterminées s’adressent à nos sens mais aussi à notre mémoire, peut-être à notre imagination, car en émargeant entre apparition et disparition, entre reconnaissance et oubli, nous sommes invités à projeter des mondes personnels alors même que les références à l’histoire des arts sont limpides. En cela, les toiles irradient d’une très intense sensibilité picturale : celle du peintre, mais aussi celle d’une peinture dont les motifs oscillent entre abstraction et figuration. Cette oscillation, précisément, situe la peinture non tant du côté du discernement, mais du côté de l’expérience de ce qui se perçoit. La figuration totale suppose en effet l’analyse et la correspondance, tandis que l’abstraction la plus dense s’affranchit de l’image pour se pencher sur la littéralité des formes sans récit ; cette dernière s’appuie alors, parfois, sur un autre type d’intelligence. Dans les toiles d’Éric Bourguignon, il ne s’agit jamais d’une peinture qui renseigne, car les formes sont flottantes, presque floues. Toute tentative de nommer ce qui se trame est déjouée. Pareillement, il ne s’agit pas d’une peinture qui abandonne le spectateur car, parmi les silhouettes indécises, au milieu de ces grands traits de pinceaux, nous y voyons des rappels, des évocations, une invitation à projeter nos propres sensations. La peinture alors imbibe et stimule nos sens, notre système nerveux, selon les mots de Deleuze, plutôt que notre cerveau.

Il faut effectivement désapprendre avec son œil lorsque l’on s’adresse à ces peintures. C’est ainsi que l’on se délecte des aspérités formelles et chaleureuses, peut-être aussi parce qu’elles nous parlent à leur manière, de façon bien plus narratives que la peinture qui récite.

De là, nous constatons que le peintre a pour souci constant de s’immiscer entre les règnes : il investit une logique de l’entre-deux, comme pour affirmer la variance et la fluidité plutôt que les préjugés du regard. Les allusions au passé ressurgissent et composent avec notre actualité. Le galbe chancelant de ces personnages émerge et s’évanouit simultanément, les gestes sont épris de vitesse et de lenteur, participant à l’élaboration d’un temps intermédiaire de la perception. Celle-ci se situe un petit peu en-deçà ou au-delà des formes et des couleurs, elle souligne l’irréductibilité du présent qui se meut en toute chose.

Aussi est-ce pourquoi ces peintures arborent une grandeur vitale, humaine voire existentielle, car ce temps de l’entre-deux pictural est celui que clame le tumulte des forces contraires, des forces qui s’opposent, qui aussi se composent mutuellement, donnant naissance à la vie élégante et chaotique, à la création. À travers ces effluves de peinture, un chant, une fête, un sentiment de joie bondissante, de celles qui nous rappellent combien chaque seconde, relayée par les pigments de couleur et l’énergie frémissante de l’artiste, aspire à l’éternité.

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