Le dessin constitue la pratique la plus élémentaire de l’art. Il en est la trame, l’essence, c’est en griffonnant que des idées prennent forme, que l’inspiration se consolide, que les imaginaires se donnent enfin à voir. Pourtant, dans l’enseignement des arts, dans le paysage des expositions contemporaines et peut-être, dans l’image-même que nous nous faisons de l’art d’aujourd’hui, le dessin semble peu à peu relégué au second plan. La dextérité manuelle parait secondaire, elle est parfois synonyme d’académisme, ce qui importe est le « concept », le fond plutôt que la forme. Encore que cela n’est pas tout à fait juste, on constate volontiers de part et d’autres l’émergence de nouveaux motifs. Le dessin est toujours capable de nous transporter sur des sentiers non balisés.
Parmi les instigateurs de ce renouveau, une initiative individuelle, celle d’Axelle Viannay et de Natalie Ferracci, collectionneuses et amateurs de dessin qui, le temps d’une exposition dans un appartement provisoirement vide, nous présentent les travaux de dix jeunes artistes. Devant l’étendue des possibilités soulevées par ces maîtres de la gomme et du porte-mine, parfois de l’acrylique et de l’encre, le spectateur s’interroge, se perd, se confond. Le dessin, en son sens le plus élargi, nous montre combien soin et patience sont propices à l’élaboration d’un art positivement cérébral, vigoureux dans ses saturations, délicat dans ses réserves.
Évoquons l’Escapade d’Anne Touquet, qui suggère plus qu’elle ne dessine, à travers des espaces de supposition scandés par la surface granuleuse du papier et des effets de projection. Des personnages sans visage se dédoublent, se mélangent, créant des interstices narratifs faits de mouvements et de tourments. Le plus important repose sans doute sur cet art consommé du vide, de l’intervalle et de la suggestion, afin de créer du geste, à l’image de ce plongeur aérien qui n’en finit plus de tourbillonner.
Plus loin, les œuvres de Fanny Michaëlis paraissent sonder des affects enfouis, des personnages explorent une certaine candeur, parfois étonnés d’être là, face à un monde qui pourtant semble peser de tout son poids. Les situations sont parfois incongrues, les univers se peuplent d’êtres innocents, l’onirisme côtoie ainsi l’ingénuité.
Chez cette artiste comme chez d’autres domine ce sentiment d’étrangeté, différentes réalités s’amalgament et le cadavre n’en est que plus exquis. Le surréalisme est en effet ce qui parfois réunit certaines de ces œuvres. Ailleurs, c’est la saturation du dessin qui est explorée, comme chez Jérémy Naklé ou Marion Balac dont les jungles luxuriantes de la série des Hurralopecia s’enquièrent d’une réserve blanche mystérieuse, métaphysique, évoquant comme en négatif les monolithes noirs de 2001, L’Odyssée de l’espace. Justement, le jeu des oppositions, les vides qui s’accompagnent d’un trop-plein de présence favorisent les contrastes qui font sens. On retrouve également cet aspect chez Julien Kedryna, dont les figures colorées s’imbriquent, laissant deviner la forme en négatif. En définitive, ce n’est pas toujours ce qu’on dessine qui est important, mais plutôt ce qu’on ne dessine pas.
D’autres interventions méritent d’être découvertes, qu’elles lorgnent du côté du graphisme minimaliste, comme chez Pia-Mélissa Laroche, ou bien parfois de l’illustration épurée par le lavis à l’encre de Chine, chez Bénédicte Müller. Songeons encore aux compositions de Margaux Duseigneur, dont la superposition de calques participe à la construction de cathédrales et de totems colorés qui feignent des personnages bigarrés. Le jeu des couleurs qui se mêlent et se démêlent, par leur douce géométrie, laisse résonner une poésie picturale aux multiples facettes.
Il faut féliciter cette exposition réalisée à peu de frais, l’économie de moyens faisant finalement écho aux nombreux crayons usés et aux papiers à dessin peu onéreux en regard d’autres médiums. Le dessin est entrepris pour sa capacité à laisser émerger des formes que l’on ne soupçonne pas. Ici, le véritable moteur, c’est l’amour des images.
L’exposition Il y a loin et cependant, au 17, avenue Niel, Paris, du 21 au 28 février 2013.
Texte publié sur contemporanéité.com en février 2013.
Courtesy © Axelle Viannay et Natalie Ferracci ainsi que les artistes de l’exposition.