L’actualité particulièrement abondante de Robert Wilson à Paris, déjà présent au Louvre et au Festival d’Automne, passe également par la galerie Thaddaeus Ropac. Comme dans le cadre du musée parisien, Lady Gaga en est la muse. De célèbres portraits picturaux sont reconstitués par le biais de la vidéo, la Mademoiselle Caroline Rivière de Jean-Auguste-Dominique Ingres et La Tête de Jean-Baptiste d’Andrea Solario voient leurs motifs remplacés et superposés au visage de la star de la Pop Américaine.
Plus précisément, ce sont deux temps de l’image qui s’entrelacent. Celui réputé inerte et intemporel du portrait en peinture, et celui mouvant, vivant, du portrait vidéo. L’amalgame participe à un sentiment étrange, celui où l’on voit des traits brossés à coups de pinceaux alors que les paupières vacillent, que les souffles sont perceptibles, et que la vie semble se frayer un chemin à travers ces corps immobiles. Sentiment renforcé par l’allusion partielle au fait mortuaire, ces têtes qui gisent et ces chairs qui s’appesantissent ont quelque chose d’une violence caravagesque, là où l’espace assombri de la pièce est nimbé d’un murmure musical aussi funèbre que religieux.
Deux temps de l’image, mais aussi deux ordres, la vie et la mort, et une étrangeté latente, sans doute provoquée par la nécessité d’y percevoir des corps hybridés où s’animent des flux divergents. Celle surtout suscité par l’incursion du visage de Lady Gaga dont on se surprend à en reconnaître les traits autant qu’ils semblent simultanément disparaître. C’est en effet le changement de nature que semble apprécier Robert Wilson chez la star qui, ici, se mue en comédienne, en caméléon, capable de se mettre dans la peau d’un autre, fut-il d’un autre temps. Inversement, cela permet comme l’indique la chanteuse, de laisser revivre l’esprit du peintre, ou plutôt, de considérer avec nos yeux d’aujourd’hui ce qui fut perçu avec les yeux d’autrefois.
En tout point, donc, de l’hybridation et de l’instabilité visuelle, des mouvements qui n’en sont pas vraiment et des équilibres qui vacillent, ce que ne contredisent pas d’autres collaborations entreprises par les deux artistes, notamment au Louvre où on la retrouve suspendue à une corde, la tête vers le bas, ou ailleurs, lorsqu’elle incarne le Marat assassiné de David ; le mélange se prolonge jusqu’aux genres artistiques, elle qui déjà avait travaillé avec Marina Abramovic et Jeff Koons. Si l’art s’est déjà imprégné de la culture populaire, désormais, nous en arrivons à un point où le phénomène inverse se réalise, lorsque des artistes tels que Kanye West font l’objet d’une pétition pour devenir le conservateur de la Biennale de Venise, ou lorsque Jay-Z participe avec Abramovic à une performance. Sans doute perçoit-on l’intérêt plastique, esthétique et intellectuel qu’il y a pour des artistes voués à séduire les foules, à arborer les codes de représentation, de construction et de conceptualisation d’un geste créatif ; sans doute y perçoit-on également la volonté d’élargir les publics. Comme le clame Lady Gaga dans l’une de ses dernières chansons, « La pop culture était dans l’art, désormais l’art est dans la pop culture, l’art est en moi »[1]. De telles collaborations profitent forcément à chacun des intervenants, quand parfois l’un écrase l’autre de sa notoriété, car les publics sont non seulement multiples, mais compris dans un rapport de force disproportionné. Quelque part, quelque chose résiste continuellement dans ce mélange des genres, comme la sensation que l’art contemporain, à nouveau, doit se parer de ses plus beaux atours pour s’ouvrir au plus grand nombre. Mais c’est une erreur, car c’est bien l’inverse qui se produit.
L’exposition Robert Wilson, Video Portraits of Lady Gaga, à la galerie Thaddaeus Ropac, du 30 novembre 2013 au 11 janvier 2014.