L’origine des contes merveilleux n’est pas toujours élucidée. En soulignant leur proximité avec les mythes et les légendes anciennes, ils relèveraient aussi bien de récits se rapportant aux Dieux et à la morale, à la poétisation populaire d’actions humaines ou à une personnalisation des forces de la nature. Toujours est-il que l’on n’explique pas forcément, dans ces récits folkloriques, l’efflorescence du monstrueux, de l’irrationnel et de la magie. À maints égards, les pratiques artistiques se présentent comme un moyen de réintroduire le merveilleux dans l’ordinaire, mais aussi comme l’occasion de repenser la place du fantastique dans ce qui compose les cultures et les sociétés.
En effet, en revisitant le conte dans un cadre plastique, l’exposition Miroir, ô mon miroir, pilotée par le laboratoire de recherches et de création L’Extension, insiste précisément sur ce qui fait du conte un motif culturel, social et anthropologique, c’est-à-dire un discours constitutif des croyances collectives. Comprenons que le conte ici n’est pas seulement perçu pour son côté inouï et détaché de nos réalités quotidiennes, il est au contraire au fondement des aspirations intimes, en se décrivant comme un mécanisme narratif qui consolide l’individu contemporain, au travers par exemple des thématiques de l’épreuve ou de l’initiation, de la transgression ou de l’affirmation de soi.
L’exposition présente en préambule la Forêt intégralement composée de carton d’Éva Jospin. La très grande densité des branchages forme un haut-relief qui invite autant à la confrontation qu’au franchissement, comme un interdit qui se brave, alors qu’une atmosphère colorée de mystères et de recoins obscurs figure un monde inquiétant, propice aux découvertes heureuses aussi bien qu’aux rencontres surnaturelles. Le spectateur se positionne en aventurier, en itinérant destiné à surmonter des obstacles, à l’image des dalles mouvantes de Charlotte Charbonnel ou des baskets enchâssées sur des morceaux de pneus de Chloé Dugit-Gros, œuvre résonnant avec les souliers fabuleux que l’on retrouve dans les imaginaires fantastiques en étant affublés de pouvoirs magiques. Par la suite, ces appels au voyage sont l’occasion de rencontres étonnantes avec des êtres étranges, reflets des forces naturelles ou des vicissitudes bienveillantes du destin. La biche constellée de Julien Salaud, majestueuse, fait écho aux silhouettes irréelles de Chloé Poizat, tandis que retentit le lumineux croissant de lune de Laurent Pernot, inexplicablement prisonnier d’une cage d’oiseau, ou la phrase mystérieuse de Jean-Baptise Caron qui dans un souffle, se dessine sur un morceau de cristal noir.
Autant d’éléments elliptiques qui semblent mus par une urgence intérieure, échappant à la raison, mais aussi, peut-être, à une forme de disjonction entre le Bien et le Mal. Les récits merveilleux n’empêchent nullement l’assise d’une forme de morale que l’on interprète avec les yeux de notre contemporanéité. Les parcours initiatiques réfléchissent parfois le passage de l’enfance à l’âge adulte qui se fait dans la douleur ou dans la perte de l’innocence, et, ainsi que nous le montre Caroline Delieutraz, les Blanche Neige d’aujourd’hui imprègnent le flux des images en perdant une part de chasteté, la caverne d’Ali Baba numérique d’Émilie Brout et de Maxime Marion décrit l’incessant besoin d’acquérir et d’accumuler, quand il revient à Giulia Andreani d’associer l’horreur totalitaire à la convenance sereine des réunions de famille.
L’exposition Miroir, ô mon miroir répond ainsi à un projet curatorial bien plus téméraire que ne le laisse prévoir sa thématique globale, car en sondant ce qu’il y a de magique dans les récits folkloriques du passé, il s’agit aussi de questionner ce qu’il y a d’irrationnel dans les discours contemporains.
Texte publié sur inferno-magazine.com
Image de couverture : Chloé Poizat Sans titre (Trognes 2), 2014 Pastel sec sur papier, 230×150 cm Courtesy de l’artiste © Chloé Poizat