On perçoit d’emblée dans le travail de Park Inhyuk une posture de peintre particulièrement authentique. L’exigence quotidienne à laquelle parfois il s’astreint répond à l’application qu’il consacre à ses expérimentations. Jouant des variations et des déclinaisons, fonctionnant par séries et accumulations, son œuvre peut être perçue comme la volonté d’épuiser des possibles tout en restant attentif à une certaine forme de justesse picturale, celle qui certifie d’une sensibilité propre et soutenue par des années de recherche. En cela, ses préoccupations prennent des allures de quête exploratoire qui s’exprime aussi bien à l’échelle de la plasticité qu’au niveau de sa présence face à la peinture.
Une première lecture insisterait ainsi sur des aspects unanimement formels. Avec ces grandes toiles, on ne peut qu’être absorbé par les larges aplats aux teintes quelque peu mélancoliques – le gris délavé a des résonances caverneuses, là où le vert brumeux parait quelque peu atmosphérique – ; de même, une gestuelle énergique semble s’être emparée des surfaces qui pourtant paraissent unies, tandis qu’un regard plus attentif laisse entrevoir des visages monumentaux et méditatifs. Une seconde perception est donc rendue nécessaire. Elle convoque chez le spectateur une forme de patience, peut-être de plénitude, ne serait-ce qu’en raison de la démesure un peu contemplative qui se dégage de ces visages disproportionnés. C’est alors que l’on constate à quel point l’œuvre de Park Inhyuk est loin de se réduire à un travail d’expérimentation qui se contenterait de questions plastiques. Ces visages que l’on dévisage et auxquels on ne s’identifie pas traduisent un panel élargi de sensations, allant de la réminiscence à l’impression de s’imprégner d’un temps dilaté, comme s’il s’agissait de puiser en soi une idée de l’universel. Il est vrai que ces grands visages ne sont pas des portraits au sens propre, car les traits ne renvoient à aucun individu en particulier. Il est surtout question d’une face générique dont l’expression appelle à la quiétude tout autant qu’à la considération d’une présence ineffable, tel un Bouddha dont on dit qu’il ne ferme pas les yeux sur le monde, mais les tourne vers l’intérieur d’une âme au moins aussi vaste que le Cosmos.
Les différentes compositions semblent donc constamment dissimuler une réalité extérieure, en dépit d’une perception immédiate qui soulignerait des enjeux d’ordre esthétique. Pareillement, en se positionnant à la jonction d’ordres insondables – l’individuel et l’universel, le temps humain et le temps en soi, la réalité de ce qui est perçu et les imaginaires qui peuvent être convoqués – les peintures de format intermédiaire paraissent davantage souligner une expérience sociale et culturelle de la part de l’artiste. De prime abord, toujours, les strates qui se dévoilent sont comme des contours topographiques dont la géographie se référerait à des paysages inconnus et émaillés par des reliefs escarpés ; ailleurs, les surfaces lacérées comme des affichettes urbaines que l’on décolle des murs, voilent des couches qui se superposent. Cependant, une perception attentive permet une nouvelle fois de relever sous les surfaces à la consistance rigide et quelque peu abrupte, des images tirées de l’actualité ou des fragments de coupures de presse. L’artiste en effet colle les pages d’un journal – souvent le même, à savoir le quotidien français Le Monde –, ou bien les sature de peinture pour, par la suite, les décomposer au moyen de pliages multiples, en procédant à un travail de ponçage, ou simplement en les mettant en lambeaux. Ici, les récits humains restent soustraits au regard, comme scellés par la matérialité brute de la peinture et préservés du temps. Ils en deviennent inaccessibles, tandis que l’artiste explique avoir collecté jour après jour ces journaux, représentatifs d’une domiciliation sur le sol français qui suppose un lourd travail d’acclimatation aussi bien qu’un rapport au monde marqué par des exigences sociales et culturelles.
Par conséquent, en combinant des temps hétérogènes et en associant une présence introspective à des réalités extérieures, sans doute peut-on percevoir de la peinture de Park Inhyuk sa nature fondamentale voire existentielle. Son caractère inachevable ainsi que la mise en œuvre d’une forme d’abnégation, impliquant un investissement tant physique que mental, la rendent d’autant plus incontestable.
Images : courtesy de l’artiste et de Woong Gallery, Seoul.