INTRODUCTION
On envisage généralement une époque pour les discours qui la régulent et déterminent la particularité de ses pratiques, ses habitudes sociales et psychologiques, ses nouvelles formes de production et d’organisation, son esthétique également. Or à la question de savoir ce que décrit notre contemporain historique, nous nous trouvons des plus démunis car, d’une part, nous ne sommes pas même sûrs qu’il existe désormais quelque chose d’aussi cohérent qu’une « époque ». D’autre part, tenter d’identifier les symptômes du présent suppose que l’on opère une sorte de voyage immobile, un petit pas de côté nous permettant d’appréhender le monde extérieur tout en nous regardant nous-même. En réalité, ce n’est peut-être que plus tard et progressivement que l’on devient conscient des dynamiques d’un système dans lequel on se trouve pris. Si cependant on peut privilégier dans une lecture du monde d’aujourd’hui des analyses portant sur les fluidités tous azimuts, la perméabilité des rapports, l’éclatement des valeurs, la porosité toujours renouvelée des frontières distinguant les cultures high et low, il faudrait aussi insister sur la massification des relations intersubjectives, l’incidence des techniques numériques ou l’accélération des temps sociaux, c’est-à-dire tout un écheveau de pratiques qui font que notre présent historique se révèle fuyant et insaisissable. Par conséquent, de quelle façon envisager une esthétique du contemporain, dès lors que ce dernier soulève la question de sa représentabilité, et qu’il a toujours semblé que les artistes aient été motivés par l’idée d’être en adéquation avec le monde ? Cette adéquation ne se manifeste pas sur le mode de l’imitation inopérante et contemplative, car le désir d’être contemporain, ou plutôt de devenir contemporain, implique l’adhésion à une époque et simultanément, sa mise à distance, c’est-à-dire l’adoption d’une inactualité au sens nietzschéen. En effet, à certains égards ce contemporain aux contours flous est ce qui succède à la conscience moderne – ce qui l’assimilerait au concept de postmoderne –, il ne renvoie pas seulement à une période historique balisée par des dates ou des événements, il décrit davantage une fonction variable, un principe ou une attitude car, ainsi que l’écrit Giorgio Agamben, le « vrai contemporain » est celui qui ne coïncide ni n’adhère aux prétentions de son temps, et précisément, « par cet écart et cet anachronisme, il est plus apte que les autres à percevoir et à saisir son temps ». Une telle esthétique se doit donc de figurer les flux du monde, et dans le même temps, il lui faudrait tenir compte de son caractère dialectique mais créateur. Dans cette optique, nous nous proposons de considérer une esthétique guidée par la participation, car ce n’est qu’alors qu’il est possible de penser l’esthétique dans son ouverture, mais aussi d’embrasser la complexité et les aléas de la réalité qui nous entoure.
La suite sur Plastir, Revue Transdisciplinaire de Plasticité humaine