Art, etc.


Alexander Ross. Que peut la peinture?


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Les masses informes et verdâtres que peint Alexander Ross ne sont pas forcément des plus attirantes, ni des plus communes en matière de peinture. À vrai dire, ces amas gélatineux et ces orifices vaguement physiologiques sont même assez repoussants, ce qui ne les empêche nullement de conserver une part de mystère : pourquoi peindre des substances pâteuses et organiques, qui plus est dans une gamme chromatique presque alimentaire ? C’est que les motifs ainsi dépeints visent à explorer les possibles qui s’offrent à l’artiste avide de conquêtes picturales. Il semble en effet que le projet de Ross soit d’établir l’examen des variations que la peinture met à sa disposition, en se posant la question suivante : que peut la peinture ?

Le choix de l’informe et des univers surréalistes constitue déjà une façon de s’extraire de ce que nous savons des techniques picturales. Ici, rien ne se laisse identifier, ou plutôt reconnaître. Nulle forme surcodée et saillante, mais des amas indistincts qui se contorsionnent, se creusent en eux-mêmes, alors que de vagues réminiscences cellulaires couvrent la surface de la toile en figurant des cartes abstraites. Tout parait fluide et prétexte à s’aventurer sur des terrains hybrides où se mêlent l’hyperréalisme et le fantastique, l’absolue véracité de la matière et les mondes imaginaires.

Si donc ce qui importe est l’exploration de contrées inexplorées, toutes les déclinaisons techniques peuvent être recensées, sans doute pour mieux sonder ce que la peinture ne sait pas encore faire. Comme nous le voyons dans le cadre de cette exposition, chaque toile présentée diffère de la précédente par sa mise en œuvre et son rendu plastique : la peinture se veut parfois épaisse et matérielle lorsqu’elle est appliquée au couteau, l’aquarelle apporte sa limpidité, sa légèreté et sa paleur. Ailleurs, l’huile permet à la matière brillante de jouer sur les reflets et les fluidités de façon photoréaliste, tandis que les crayons de couleur et les pastels gras offrent une insouciance que l’on retrouve aussi dans les dessins d’enfants. La peinture de Ross se déploie donc à travers les genres, elle se fraie un chemin parmi ses différents modes d’existence, aspirant à mieux se connaître et à sonder ce dont elle est capable.

Dans cette quête de soi picturale, Alexander Ross peut confronter la peinture à ses rivales traditionnelles, en travaillant à partir de modèles en pâte à modeler qu’il photographie dans un second temps, pour mieux les peindre ensuite. La démarche a quelque chose des premières expérimentations visant à révéler des phénomènes scientifiques que l’on bricole préalablement avant de les mettre en image. C’est donc la peinture qui reste le médium-maître, le résultat final, mais pour y parvenir, il faut passer par les mains du sculpteur et la mécanique du photographe. Singulier travail préparatoire, comme si la peinture devait d’abord faire ses preuves pour mieux s’élancer.

De là une question essentielle : pourquoi selon Ross la peinture doit-elle primer sur les autres techniques ? Peut-être est-ce parce qu’elle seule permet de retranscrire des mondes qui n’existent pas. Paradoxalement, ces peintures ne sont jamais que la représentation exacte de réalités conçues par l’artiste. En s’interrogeant sur ce que peut la peinture, l’artiste en arrive finalement à questionner ce que peut la représentation. C’est ce qui explique l’incidence du biologique dans ses compositions, il est vrai que les formes spongieuses se tortillent et s’emmêlent continuellement, que ces brindilles empruntent au règne végétal la puissance et l’abondance. Des notions de fluidité et de devenir semblent émerger afin de synthétiser ce qui est voué à toujours se mouvoir, et donc à se positionner entre deux réalités. Alexander Ross nous indique ainsi que la peinture est mais n’est pas encore tout à fait : elle devient.

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Untitled _ 2012 _ Oil on linen _ 114.3 × 134.6 cm PP (Copier)

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Exposition Alexander Ross à la galerie Hussenot à Paris, du 4 mai au 4 juin 2013.
courtesy ©galerie Hussenot

texte publié sur contemporaneite.com en mai 2013

image de couverture : Untitled, 2009, Ink, graphite, colored pencil, watercolor and flashe on paper, 65,25 x 96 cm.

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