Art, etc.


Jérôme Zonder, Fatum, la maison rouge


Jeux d'enfants (Copier)

En présentant la première exposition monographique parisienne de Jérôme Zonder, la maison rouge nous rappelle à la vitalité du dessin dans le paysage de l’art contemporain. Alors que nous assistons en effet depuis quelques années à sa reconnaissance nouvelle et quelque peu paradoxale – le dessin ne renvoie-t-il pas à l’essence même des beaux-arts ? – l’exposition, qui se présente comme un parcours, explore le travail de la mine de plomb et du fusain en polarisant toutes ses possibilités.

La suite sur Inferno

Image de couverture : Jeu d’enfants #1, 2010, mine de plomb sur papier, 160 x 160, collection privée, France

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Chairs grises #11, 2014, fusain et poudre graphite sur papier, 150 x 200 cm, courtesy galerie Eva Hober Paris

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Les fruits de McCarthy #2, 2013, mine de plomb et fusain sur papier, 24 x 32 cm, courtesy galerie Eva Hober Paris

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Benoît Blanchard. Écritures (Braises)


Écritures 3-11 Détail (Copier)
Écritures 3-11 Détail (Copier)

Écritures #3-11 Détail – 2012

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Relevé #4 – 2013.

Dans la série des Écritures, Benoit Blanchard reproduit à la sanguine des braises. Fragiles et translucides, elles ont pour particularité de ne pas montrer les flammes qui les consument, ni même l’espace qui les environne. Seuls subsistent un tracé rouge et fin, des hachures figurant discrètement le relief, et des zones vides qui se confondent avec la blancheur du papier.

On est d’abord intrigué par le tortillement des traits colorés : ils laissent parfois émerger un dessin rigoureux et réaliste, quand le motif parait d’autres fois s’abstraire, comme si ces braises s’éteignaient peu à peu, ayant perdu de leur chaleur. Puis on se dit que leur intention n’a jamais été d’en rendre l’incandescence ni le dépérissement. Une certaine légèreté s’en dégage, celle initiée par de minuscules gestes de dessinateurs, gestes presque fortuits, idiosyncrasiques, qui témoignent simultanément d’une patience et d’un empressement s’emparant de la main de l’artiste. Il s’agit d’une écriture.

Cette légèreté est peut-être une forme de candeur, car en oscillant entre deux pôles – le contrôle et l’insouciance, la nécessité de rendre compte et la liberté d’être soi – Benoît Blanchard met en œuvre un attachement particulier à l’égard des objets qu’il appréhende. Le passage par l’accumulation témoigne de sa volonté d’interroger le réel pour sa diversité, pour sa richesse, pour toutes ces petites choses qui marquent mais que l’on ne parvient pas toujours à décrire avec des mots, ni même avec des images. Il adopte donc le point de vue de la curiosité, là où l’empathie pour le monde rend nécessaire un regard mobile, un regard de collectionneur conscient du temps qui passe et qui trépasse.

Ce point de vue est aussi une méthode, car il se rapporte aux taxinomies naturalistes qui fragmentent la réalité pour mieux en saisir les articulations. Méticuleuses et précises, diaphanes et flottantes, les braises dessinées à la sanguine explorent des nuances formelles que l’on ne discerne qu’à la mesure d’une patiente observation. L’artiste partage avec l’approche naturaliste l’attrait de la perception, celle qui reste motivée par le discernement des ressemblances et des déclinaisons, tout comme par  l’observation des moindres aspérités.

Gerçures et craquelures restituent la fragilité de la matière, les tracés délicats s’éparpillent dans une relative lenteur, tandis que l’œil est invité à en sonder les petites brèches.

Pourtant, à la différence de la méthode taxinomique traditionnelle, ce n’est pas la connaissance qui motive une telle entreprise, ne serait-ce qu’en raison des motifs examinés : ici, nul organisme vivant n’est appréhendé de manière classificatoire, il s’agit davantage de scruter la réalité qui nous entoure, dans ce qu’elle a parfois de quotidien et d’anodin, parfois même pour le détachement qu’elle suscite. Ces braises relèvent de l’ordinaire le plus  souverain, mais il revient sans doute à l’artiste de rappeler que le feu et la vie s’y logeaient encore il y a peu. Si l’art de Benoît Blanchard décrit une exploration sensible du visible, il nous montre aussi que toute écriture est une réécriture.

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Écritures #3-11 Détail – 2012

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Écritures #3-11 Détail – 2012

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Écritures #3-11 Détail – 2012

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Exposition Corrections, avec les œuvres de Cécile de Beauvoir et Benoît Blanchard.
Ouverture le 27 avril puis sur rendez-vous jusqu’au 27 juillet 2013. 

Texte publié sur contemporaneite.com, avril 2013.

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Clément Bagot. Un élargissement de la perception


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_dessin récticulaire 1_ 2012-2013, Encre et letraset sur papier, 160 x 300 cm, detail 1 (Copier)

Dessin récticulaire 1, Encre et letraset sur papier, 160 x 300 cm, détail, 2012-2013.

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Dessin récticulaire 1, Encre et letraset sur papier, 160 x 300 cm, détail, 2012-2013.

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Dessin récticulaire 1, Encre et letraset sur papier, 160 x 300 cm, détail, 2012-2013.

Difficile de ne pas être admiratif devant les dessins millimétrés de Clément Bagot. L’extrême finesse du trait s’accumule, se répète à l’infini, pour finalement couvrir la surface du papier dans son intégralité. Une texture  faite de micro-motifs à la fois semblables et différents apparaît, hésitant parfois entre l’organique et le high-tech, entre la cartographie et l’architecture. Dans les œuvres en grand format, les jeux d’imbrications perpétuelles et les univers topologiques ont quelque chose des prisons imaginaires de Piranèse, alors même qu’elles semblent avoir été dessinées par Jean Giraud alias Moebius.

Plus généralement, ce qui frappe dans cette exposition personnelle proposée par la galerie Éric Dupont –  une fois que l’on se rapproche de ces dessins qui ne demandent qu’à être scrutés – est l’incidence de l’imagerie scientifique, plus exactement des mondes qui s’éveillent sous l’œil du microscope. Des pores de la peau transparaissent, des gouttes de sueur semblent perler. Cellules et mitochondries s’offrent au regard, tandis que virus et bactéries s’agitent au rythme de l’image.

Or, dès ses premières heures, l’infiniment petit s’est avéré des plus fascinant. Aujourd’hui, avec ces dessins, il ravive la frontière poreuse distinguant l’art de la science, ce que ne conteste pas le choix des couleurs du papier : le vert est acide, le rouge sanguin et le bleu, presque électrique. Clément Bagot partage ainsi avec les images scientifiques leur envoûtement visuel. En suggérant les mouvements de la matière, en rendant palpable des vitesses, des températures et autres flux chimiques, l’artiste intrigue, attise le regard, de la même façon que les scientifiques du XIXe siècle qui laissent découvrir des traces du réel peu familières au commun des mortels.

Attirance, puisqu’en donnant vie à un monde supposé invisible, frustration et curiosité de l’imaginaire scientifique sont comblées. Pareillement, les représentations de l’infiniment petit, de l’infiniment lointain ou de l’infiniment complexe, arborent une dimension spectaculaire suffisamment suggestive pour que les artistes puissent s’en emparer. Les images de la science et les images de l’art, chacune à leur manière, participent à un élargissement de la perception, quand paradoxalement, ceci passe par une vision microscopique.

Toutefois, il serait dommage de réduire les dessins de Clément Bagot à une figuration du règne du vivant, car ainsi serait occultée la vertigineuse précision du trait. Chaque dessin est un univers organique en soi, un paysage mental martelé par la rigueur du geste et une inventivité qui se renouvelle à tout instant, comme le traduisent également les maquettes raffinées, reflets de mondes réticulaires qui pourtant demeurent inhabitables. Les créations de l’artiste ici s’éprouvent, au bon sens du terme, car non seulement elles accaparent l’attention du spectateur, mais elles le confrontent à la démesure d’un travail où patience, rigueur et abnégation sont les maîtres mots.

_Encre Blanche 7_, encre blanche sur papier noir, 25x18cm (Copier)

Encre Blanche 7, encre blanche sur papier noir, 25x18cm

_Encre Blanche 1_, encre blanche sur papier noir, 29 x 19,5 cm (Copier)

Encre Blanche 1, encre blanche sur papier noir, 29 x 19,5 cm.

_Dixodeum_, encre noire sur calque fluo vert, 30x19cm (Copier)

Dixodeum, encre noire sur calque fluo vert, 30x19cm.

_Microcosme 5_, 2012, bois, carton, plastique, plexiglas, 15 x 29 x 23 cm (Copier)

Microcosme 5, bois, carton, plastique, plexiglas, 15 x 29 x 23 cm, 2012.

Exposition Clément BagotPartir d’un point et aller le plus loin possible à la galerie Éric Dupont à Paris, du 30 mars au 11 mai 2013.
toutes les images, © courtesy Galerie Eric Dupont, Paris.

Texte publié sur contemporaneite.com en avril 2013.

Image de couverture, Thalos (détail), encre noire sur calque fluo orange, 30 x 20 cm, 2012.

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La poésie mystérieuse du dessin contemporain


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Anne Touquet, Escapade, détail, graphite/papier, 80 x 120 cm, 2012.

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Anne Touquet, Escapade, détail, graphite/papier, 80 x 120 cm, 2012.

Le dessin constitue la pratique la plus élémentaire de l’art. Il en est la trame, l’essence, c’est en griffonnant que des idées prennent forme, que l’inspiration se consolide, que les imaginaires se donnent enfin à voir. Pourtant, dans l’enseignement des arts, dans le paysage des expositions contemporaines et peut-être, dans l’image-même que nous nous faisons de l’art d’aujourd’hui, le dessin semble peu à peu relégué au second plan. La dextérité manuelle parait secondaire, elle est parfois synonyme d’académisme, ce qui importe est le « concept », le fond plutôt que la forme. Encore que cela n’est pas tout à fait juste, on constate volontiers de part et d’autres l’émergence de nouveaux motifs. Le dessin est toujours capable de nous transporter sur des sentiers non balisés.

Parmi les instigateurs de ce renouveau, une initiative individuelle, celle d’Axelle Viannay et de Natalie Ferracci, collectionneuses et amateurs de dessin qui, le temps d’une exposition dans un appartement provisoirement vide, nous présentent les travaux de dix jeunes artistes. Devant l’étendue des possibilités soulevées par ces maîtres de la gomme et du porte-mine, parfois de l’acrylique et de l’encre, le spectateur s’interroge, se perd, se confond. Le dessin, en son sens le plus élargi, nous montre combien soin et patience sont propices à l’élaboration d’un art positivement cérébral, vigoureux dans ses saturations, délicat dans ses réserves.

Évoquons l’Escapade d’Anne Touquet, qui suggère plus qu’elle ne dessine, à travers des espaces de supposition scandés par la surface granuleuse du papier et des effets de projection. Des personnages sans visage se dédoublent, se mélangent, créant des interstices narratifs faits de mouvements et de tourments.  Le plus important repose sans doute sur cet art consommé du vide, de l’intervalle et de la suggestion, afin de créer du geste, à l’image de ce plongeur aérien qui n’en finit plus de tourbillonner.

Plus loin, les œuvres de Fanny Michaëlis paraissent sonder des affects enfouis, des personnages explorent une certaine candeur, parfois étonnés d’être là, face à un monde qui pourtant semble peser de tout son poids. Les situations sont parfois incongrues, les univers se peuplent d’êtres innocents, l’onirisme côtoie ainsi l’ingénuité.

Chez cette artiste comme chez d’autres domine ce sentiment d’étrangeté, différentes réalités s’amalgament et le cadavre n’en est que plus exquis. Le surréalisme est en effet ce qui parfois réunit certaines de ces œuvres. Ailleurs, c’est la saturation du dessin qui est explorée, comme chez Jérémy Naklé ou Marion Balac dont les jungles luxuriantes de la série des Hurralopecia s’enquièrent d’une réserve blanche mystérieuse, métaphysique, évoquant comme en négatif les monolithes noirs de 2001, L’Odyssée de l’espace. Justement, le jeu des oppositions, les vides qui s’accompagnent d’un trop-plein de présence favorisent les contrastes qui font sens. On retrouve également cet aspect chez Julien Kedryna, dont les figures colorées s’imbriquent, laissant deviner la forme en négatif. En définitive, ce n’est pas toujours ce qu’on dessine qui est important, mais plutôt ce qu’on ne dessine pas.

D’autres interventions méritent d’être découvertes, qu’elles lorgnent du côté du graphisme minimaliste, comme chez Pia-Mélissa Laroche, ou bien parfois de l’illustration épurée par le lavis à l’encre de Chine, chez Bénédicte Müller. Songeons encore aux compositions de Margaux Duseigneur, dont la superposition de calques participe à la construction de cathédrales et de totems colorés qui feignent des personnages bigarrés. Le jeu des couleurs qui se mêlent et se démêlent, par leur douce géométrie, laisse résonner une poésie picturale aux multiples facettes.

Il faut féliciter cette exposition réalisée à peu de frais, l’économie de moyens faisant finalement écho aux nombreux crayons usés et aux papiers à dessin peu onéreux en regard d’autres médiums. Le dessin est entrepris pour sa capacité à laisser émerger des formes que l’on ne soupçonne pas. Ici, le véritable moteur, c’est l’amour des images.

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Fanny Michaëlis, Mrs Dalloway,

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Marion Balac, série Hurralopecia, crayon sur papier, 21 x 29,7 cm, 2013.

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Marion Balac, série Hurralopecia, crayon sur papier, 21 x 29,7 cm, 2013.

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Jérémy Naklé, Dinosaures.

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Jérémy Naklé, Das weiss haus.

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Julien Kedryna

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Julien Kedryna

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Pia-Mélissa Laroche, Concervatoire.

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Pia-Mélissa Laroche, Zone industrielle.

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Bénédicte Müller, Nuit 1.

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Bénédicte Müller, Nuit 2.

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Margaux Duseigneur, 0104.

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Margaux Duseigneur, 0108.

L’exposition Il y a loin et cependant, au 17, avenue Niel, Paris, du 21 au 28 février 2013.

Texte publié sur contemporanéité.com en février 2013.

Courtesy © Axelle Viannay et Natalie Ferracci ainsi que les artistes de l’exposition.

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