Art, etc.


Elina Brotherus. L’esthétique d’une mélancolie


02_Tulips_2009_26cm (Copier)
Wrong Face_26 (Copier) [1600x1200]

Wrong Face, 2012, Still, 16 mm color film, silent, Duration: 3’35 », courtesy of the artist and gb agency, Paris

41_Annonciation 31, The End_26cm (Copier)

Annonciation 31, The End, 2012.

Le travail d’Elina Brotherus est à la confluence de plusieurs genres picturaux. Le paysage, la nature morte et le nu côtoient les scènes d’intérieur et les autoportraits. Les références à l’histoire de la peinture et de la photographie abondent, on y trouve parfois la poésie mystérieuse d’un Giorgione, la présence éthérée d’une Francesca Woodman ou plus souvent les méditations existentielles d’un Caspar David Friedrich.

Dans un premier temps, le spectateur perçoit cette œuvre pour sa capacité à articuler une expérience singulière à la réalité du monde : l’artiste apparaît souvent de dos, seule et contemplative face à une étendue panoramique faite de brume et de grandeur. Dans d’autres cas, l’artiste parvient à figer une sensibilité fuyante qui tranche avec la sévérité des lieux et des situations. Assise sur le rebord d’une baignoire, le regard errant, les mains closes et la mine défaite, le personnage parait s’estomper devant la douce luminosité d’une salle d’eau. La mélancolie est manifeste, elle nimbe toute la pièce d’une atmosphère hollandaise, lourde mais paisible. Des questions émergent alors : s’agit-il de diluer les tourments de l’âme devant le spectacle de l’étendu ? Le paysage, le lieu et l’espace renvoient-t-ils à un infini inaccessible, à une quête impossible à accomplir ? Quel rôle joue l’histoire de l’art lorsque ce sont des expériences singulières qui sont examinées ?

L’artiste nous explique dans le cadre de cette exposition intitulée Annonciation ses tentatives infructueuses d’avoir un enfant. C’est à juste titre que sont invoqués les célèbres retables de Fra Angelico dont le thème de l’Immaculée Conception résonne en négatif avec la biographie de l’artiste : au miracle d’une naissance soudaine répond la tristesse d’une vie qui se refuse. Cet écart entre présence et absence constitue sans doute un motif nécessaire. Sur la photographie qui initie le parcours proposé, une entrée en forme d’arcade nous introduit dans l’intimité d’une salle à manger ; assise sur la droite, l’artiste est prostrée et la solitude se fait extrême. Les espaces de vie n’en restent pas moins imprégnés d’une sorte de pudeur, celle qui révèle tout autant qu’elle dissimule. Peut-être est-ce parce que l’artiste s’efface que les photographies s’emplissent de son être.

Puis dans un second temps, le spectateur se rappelle que les romantiques allemands professaient la libre expression du sensible par la contestation de la raison. En poursuivant dans cette voie, on se rend compte que la relation qu’entretient l’artiste avec les tableaux empruntés à l’histoire de l’art n’aspire pas à une réitération docte et discursive. Son rapport est avant tout sensoriel, instinctif, et plus important encore, esthétique. Chaque photographie laisse émerger une attention remarquable pour le jeu des couleurs, la luminosité, la composition et la mise en scène. En exemple, ce bouquet de tulipes au milieu d’une table, dont la nappe purpurine aux motifs carrelés retentit avec la blancheur des pétales et le turquoise du fauteuil. À trop vouloir se focaliser sur les références qui parsèment son œuvre, on en oublierait presque qu’il s’agit d’une entreprise éminemment plastique, d’une relation tactile à l’égard de l’histoire des images, le fruit d’une véritable passion à l’égard de tout ce qui se laisse bercer du regard. Si les artistes qui la précèdent lui apportent des éléments de réponse relativement aux problèmes qu’elle se pose, c’est parce qu’ils l’imprègnent d’univers graphiques riches et fertiles. D’une certaine façon, la solitude se voit contrariée au profit d’images qui s’illuminent, l’Annonciation devient l’exclamation non feinte d’un amour des images.

L’exposition Elina Brotherus L’annonciation à la galerie gb agency à Paris du 25 mai au 20 juillet 2013.

Photographie de couverture : Tulips, 2009,  courtesy of the artist and gb agency, Paris
Crédit photo : Marc Domage, Courtesy gb agency, Paris.
Texte publié en juin 2013 sur contemporaneite.com

08_Annonciation 5, Avallon 19.12.2010 (Copier)

Annonciation 5, Avallon, 19.12.2010, 2010.

33_Annonciation 23, Lone_26cm (Copier)

Annonciation 23, Lone, 2011.

10_Annonciation 7, Jour de l'Annonciation (Copier)

Annonciation 7, Jour de l’annonciation, 2011.

41_Annonciation 31, The End_26cm (Copier)

Annonciation 31, The End, 2012.

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