L’exposition que le Frac Bretagne consacre à Didier Vermeiren est l’occasion de revenir sur une œuvre essentielle au regard de l’histoire de la sculpture. En termes de positionnement historique et problématique, notamment, car l’artiste belge entretient une proximité remarquable avec des sculpteurs emblématiques, non tant parce qu’il serait question de s’inspirer, de citer ou de rendre hommage à d’illustres prédécesseurs (parmi lesquels Rodin, Brancusi, David Smith, ou les tenants de l’art minimal), mais parce qu’en identifiant les singularités de chacun, en considérant leurs différents apports comme des motifs qu’il s’agirait de mettre en situation, Vermeiren pose les bases d’une étude généalogique, mais plastique, de la sculpture.
En cela, le rapport à ce qui précède, tel qu’il peut être revigoré par de nouvelles intentions, décrit une dynamique majeure dans le travail de Vermeiren, en particulier lorsque l’on insiste sur des notions de base, de fondement et, de façon plus prosaïque, de socle. Ce qui soutient n’est plus perçu de façon à seconder passivement ce qui est soutenu, mais en tant qu’entité autonome faisant valoir une véritable légitimité. Si la fonction du socle en sculpture est largement éprouvée depuis la fin du XIXème siècle, Vermeiren en radicalise toutefois les implications en proposant une variété de configurations possibles qui chacune, à leur manière, redéfinit la relation entre l’œuvre et son support.
Aussi ce travail s’appuie-t-il sur des notions de variation, de combinaison et d’agencement à partir d’une trame volumique de départ – le parallélépipède rectangle – ainsi que le montre la première galerie de l’exposition. Rappelant que le cube, la dalle ou la poutre ne sont que des cas particuliers du parallélépipède dont on aurait altéré certaines des grandeurs, les différentes pièces présentées – et réalisées à des périodes variées – se font le reflet de déclinaisons quasi analytiques d’un même motif, en se focalisant à chaque fois sur la variation d’un attribut formel précis : la taille, la teinte, la texture, le poids. La mise en espace des différentes pièces permet, en outre, de confronter les volumes, donc de jouer sur les antagonismes et sur les distances qui les sépare.
À l’image de cet ensemble qui ouvre l’exposition, la Collection de solides, les variations se font aussi dénombrements, car il est question d’examiner toutes les occurrences possibles qu’une même trame est capable d’engager. Dans cet ensemble, toutes les pièces paraissent partager le même poids, mais cinq sculptures de physionomie radicalement distincte en résultent, tout en conservant la trame première du parallélépipède rectangle. Le plus important cependant est le sentiment d’infinie justesse qui les accompagne. Cette variété formelle est en effet envisagée de telle sorte que ce qui distingue une pièce de l’autre se fasse dans un souci d’exactitude descriptive : cette plate-forme affirme sa platitude, ce pavé impose sa compacité ; considérant qu’il existe une infinité de morphologies intermédiaires, tous deux possèdent cependant très exactement les dimensions correspondant à la catégorie géométrique qu’ils incarnent, de façon à ce qu’il ne puisse y avoir de confusion possible en passant de l’une à l’autre.
Dès lors, si ce qui incombe pour Vermeiren est la possibilité de créer des différences tout en œuvrant à partir d’une trame native, on constate que ce sentiment de rectitude guide la totalité de l’exposition. Toujours dans la première galerie, les volumes occupent l’espace en prolongeant l’orientation des murs, enclenchant une impression d’absolu équilibre. Prise dans le sens de la longueur, la galerie offre un paysage de silhouettes géométriques qui s’élancent d’un seul tenant, restituant une perspective pondérée et aérienne, un peu comme si des constructions urbaines, en recouvrant un site selon une orthogonalité rigoureuse, veillaient à concilier les vides et les pleins, les flux et les circulations, de manière à préserver une forme de respiration visuelle. Tandis que la seconde galerie se fait davantage l’expression d’une étude intermédiaire, la troisième et dernière galerie, quant à elle, met en exergue d’autres attributs du volume en insistant sur les échelles, sur les rapports entre contenant et contenu, ou sur une logique de réitération à partir du moulage. La série des Open Cubes permet de prendre la mesure de ce qui était mis en avant dans le premier espace, puisque qu’en interrogeant, entre autres, des notions d’incomplétude et de béance, ce ne sont plus les qualités matérielles du volume qui sont auscultées, mais des propriétés invisibles et relationnelles, comme si l’on était passé d’une étude dévolue à la tridimensionnalité pour aboutir à une recherche qui se porterait, d’une certaine façon, au-delà des formes et des volumes.
Ici également, le sentiment d’une justesse insondable prédomine. Le paradoxe étant que c’est sans doute dans cette exactitude qui affleure à la sobriété que repose une forme de démesure. Aussi, s’il est assez rare de visiter une exposition dégageant une telle impression de finesse, de précision et d’application – un peu comme s’il s’était agi d’établir la négation même de l’idée de hasard – on ne peut qu’être saisi par la relative limpidité de la démarche de Didier Vermeiren, lui qui, somme toute, ne vise qu’à comprendre ce qu’est la sculpture.
Exposition Didier Vermeiren, Construction de distance, Frac Bretagne, Rennes, du 14 janvier au 23 avril 2017.
Image de couverture: vue en négatif de Collection des solides, 2017.